Indiana Jones : le retour de la grande aventure
La vraie surprise de ce film, quatrième apparition du héros phobique est justement qu'il s'agit vraiment d'un film, que la pyrotechnie électro-balourde d'Hollywood ne flingue pas, mais magnifie, au service du Cinéma. Car si on savait que Steven Spielberg a un sacré sens du cinéma, ça faisait un peu longtemps qu'il ne l'avait pas mis en pratique. Ici, avec les moyens de Lucas et Disney réunis, avec le charisme de Ford (Harrison, pas le grand John, ne pas exagérer tout de même), une image incroyablement fouillée, des plans de mauvais garçon du 35 mm (certains raccourcis sont renversants), des vrais personnages, un vrai scénario Mc Guffin qui ne tient pas debout et auquel on ne comprend pas grand chose (on s'en fout, ça file vraiment à 250 à l'heure et on a pas le temps de réfléchir à la vraisemblance), avec un mythe à la hauteur du héros de l'"Arche" (la recherche d’El Dorado, rien de moins), Spielberg nous fait tout simplement plaisir. Il nous fait tout simplement rire, frémir, avoir peur, espérer, vibrer avec les héros, détester les méchants (20 ans ont passé et les bolchos remplacent utilement les nazis des 3 livraisons précédentes), notamment l'égérie de Staline, vénéneuse à souhait dans ses certitudes de catéchuwoman.
Dès la première scène, après une intro en forme d'hommage amical et brillant au George Lucas d'American graffiti (première course de voiture du film, jubilatoire et rockeuse, avec le Hound dog d'Elvis en fond sonore), on passe aux choses sérieuses. Les méchants se découvrent très méchants et l'apparition (l'évocation, l'invocation ?) d'Indiana en figure du Héros, aussi mal barré est-il (c'est un des thèmes récurrents de la série, Indiana se met toujours en abîme, dans des situations où il n'a aucune chance de s'en sortir, mais...) est un modèle d'exposition. Un corps éjecté du capot d'une voiture, un chapeau qui roule dans la poussière du désert, une silhouette haute, fatiguée mais massive, condensé de puissance, qui ramasse et coiffe le fameux chapeau, se relève en ombre chinoise comme une menace surgie de temps plus anciens et le mythe s'incarne. En quelques plans majestueux, Spielberg restitue Indiana et l'inscrit dans la légende. Et c'est (enfin !) reparti.
Et à nouveau, le thème écrit par John Williams, nous fait régresser vers une béatitude satisfaite.
Parmi les nombreuses surprises du film, à côté de fourmis géantes incroyablement voraces, de bestioles torves ou de bestioles marrantes témoins de la folie des hommes, de chausse-trappes, de cloisons qui basculent, de rapides et de Niagaras vertigineux, (une explosion atomique en passant, dans un monde d’apparences à la Philip K. Dick) une redéfinition des codes de la poursuite en voitures, en pleine jungle brésilienne, avec d'invraisemblables jeux de passes genre rugby (le crâne de cristal passe d'un joueur à l'autre, mais ce n'est pas un jeu, ou alors un jeu mortel) nous entraîne dans une jouissance cinématographique rare.
Lorsque Spielberg s’éloigne d’une bonne conscience prêcheuse qui fit le redoutable Couleur pourpre, l’ennuyeux Amistad et le (je pèse mes mots) film ignoble (Liste de Shindler, un des rares films à ma connaissance qui fait rire du passage « aux douches », pour ceux qui savent) il se montre un grand réalisateur, même si c’est dans la cour des petits. Il suffirait qu’il s’intéresse un peu au cinéma comme autre chose qu’un gros gâteau sucré rose fraise et blanc chantilly, qu’il cherche de vrais sujets et qu’il les traite honnêtement (comme il le fait avec ce film d'aventures jouissif), pour enfin devenir un grand cinéaste, l'égal de Coppola ou Scorcese, poids lourds de cette génération dont il risque de ne rester qu'un comparse, cinéphiliquement parlant.
Dommage, mais je ne boude pas mon plaisir grâce à Indy. Mais, s’il vous plait, Spielberg, Lucas, Ford, promettez que cette sortie sera définitive. Pas d'Indiana V. Merci pour tout.
Je n'en dirai pas plus sur le film, vrai retour, totalement inattendu, de la Grande Aventure, qui ose s'auto-parodier en évoquant gentiment les succès passés (ET, Rencontres du 3ème type... les Indiana précédents, la photo du père Sean Connery…).