Îvre de livres : questionnaire
Ça me tient tellement là j'ai, depuis plusieurs semaines, le besoin d'exprimer (faire sortir) les pensées qui pressent l'intérieur de mon crâne pour courir dehors à l'air libre et se coucher en remuant de la virgule sur les papiers couchés (également) et étinceler sur les écrans d'ordinateurs, de vos ordinateurs surtout et répandre dans le terreau de l'air vicié de nos villes et pollué de nos campagnes, des questions. En fait, je n'en dors plus de cette dévaluation organisée de la parole publique, de la parole politique, surtout, depuis qu'elle se nourrit, sous la férule vénale et virale de la pensée sarkosique, au lait fétide des patrons de TF1 et autres Direct8 et Matin-Soir. Mais ça ne vient pas.
Ça ne vient pas car je n'ai pas le temps de faire venir. En fait, je cultive l'art stérile de la perte de temps ou de l'utilisation du temps à autre chose, toujours autre chose (des trucs aussi vains et laids que travailler, des machins aussi fatigants qu''essayer de dormir etc.). Donc, au lieu d'écrire ce billet au bon moment, je le commence, puis j'attends que la parole publique se soit encore plus dégradée pour reprendre, mais là je dois changer l'angle, tirer plus bas et c'est l'heure de se mettre à table ou c'est une réunion et, franchement, tirer plus bas que Sarkozy, c'est pas la classe.
Et si je ne publie pas, vous cessez de me visiter. Je sais, j'ai les statistiques.
Alors, j'ai eu envie de préparer un billet tout simple, construit à partir d'un questionnaire vu sur un blog de fille, puis sur un autre et les réponses lues m'ont amusé tout en m'intéressant.
Je dédie ce post à la librairie Les Tropiques, rue Losserand à Paris, où j'adore donner mon fric inutile contre des bouquins très beaux.
(Le site : http://librairietropiques.free.fr/ et merci à toutes ces belles librairies d'exister)
Donc, c'est un questionnaire trouvé sur un blog de fille très chouette, sur les livres, ou sur la lecture, ou sur des souvenirs de lecture.
A quel livre dois-tu ton premier souvenir de lecture ?
Un livre pour enfant illustré en vert et noir. Son
souvenir reste très mystérieux, car j’ai peu de souvenirs de la prime enfance.
Mais je sais que ce livre a compté. Même s’il ne m’en reste que les couleurs,
le vert, le noir et le format : un peu grand pour moi.
Quel est le chef-d’œuvre officiel qui te gonfle le plus ?
Walden de Henry-David
Thoreau. J’ai honte, mais ce pavé, à l’origine de la non-violence, qui a
inspiré Gandhi et le Pasteur King, m’est tombé des mains pour
s’écraser lourdement sur le sol. Qu’est-ce que j’aimerais aimer… Mais qu’est-ce
que c’est chiant. Ce mec qui vit tout seul dans la forêt, qui vit de rien, qui
est absolument altruiste et défend des principes de vie devant lesquels je m’incline,
ce mec écrit plat. Lourd. Américain du XIXème. D’ailleurs, j’en ai autant pour Hawthorne.
Quel est le classique absolu que tu n'as jamais lu ?
Don Quichotte de la Manche. Le chef-d'œuvre de Cervantès, fondateur de
la littérature moderne, a passionné les écrivains, les aventuriers et les
cinéastes. Mais c'est une œuvre qui s'échappe. Avant Terry Gilliam (qui
depuis 2000 n'a toujours pas trouvé à réaliser son film), Orson Welles
s'était attaqué en vain à ce monument. Paul Auster avait un projet de traduction
en anglais US, avorté également.
Quel est le livre unanimement jugé mauvais que tu as honte d'aimer ?
L'unanimité ne sied pas à la littérature. Et je n'ai jamais honte de mes lectures, surtout quand j'aime.
Quel
est le livre que tu as le sentiment d'être seule à aimer ?
Aucun, bien sûr, je ne suis pas assez présomptueux pour.
Mais, j'aime à croire que l'édition en 10/18 de L'énergie des esclaves de Léonard Cohen, qu'un mec un peu paumé m'avait filé un soir dans un bistrot de Paris, il y a quelques paies de ça, parce que j'avais parlé avec lui, je sais pas de quoi et on s'en fout ; je crois qu'il m'avait donné ce livre pour qu'il reste quelque chose de ces minutes ou ces heures d'échange, quelque temps après. Ben tu vois, mec, il reste quelque chose. Ce livre ne m'a jamais quitté.
Cette histoire me rappelle une chanson de Léo Ferré, Richard, qui dit : "Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles / A certaines heures pâles de la nuit / Près d'une machine à sous, avec des problèmes d'hommes simplement / Des problèmes de mélancolie / Alors, on boit un verre, en regardant loin derrière la glace du comptoir / Et l'on se dit qu'il est bien tard..."
Peut-être que ce livre là, dans cette édition là, donné par un mec paumé à un type qui avait peut-être l'air encore plus paumé ce soir là, je suis le seul à l'aimer vraiment.
Quel
livre ferais-tu lire à ton pire ennemi pour le torturer ?
Par construction, un ennemi pire ne partagerait pas
mes addictions. S'il est président d'une République, peut-être La Princesse
de Clèves. Sinon, un livre un peu hard à lire, par exemple un Brett
Easton Ellis, probablement Lunar Park. Un ennemi ne supporterait pas
Lunar Park.
Quel
livre aimerais-tu faire découvrir au monde entier ?
"Asthmes" de Sophie Maurer. J'ai un peu (peu) écrit sur Sophie Maurer, mais quand on fait une recherche google sur son nom, mon site est en haut de la liste. C'est dire si on a peu écrit sur elle. Elle-même a peu écrit, en dehors de thèses sociologiques probablement passionnantes, mais Asthmes, c'est un livre pas pareil. Un livre qui, en 93 pages, dit l'amour et la solitude et le désir et le fait qu'on est pas tout seul. Dans une langue d'une pureté d'eau claire.
Quel
livre pourrais-tu lire et relire ?
Pendant longtemps, j'ai repris régulièrement les
quatre tomes du théâtre de Molière, tous les 3 ou 4 ans, en prenant soit
les grandes comédies, soit au contraire les pièces burlesques. Id. pour Tintin
et Milou, en lire un, c'est vouloir les relire tous. Mais j'ai perdu ces
habitudes. Autant je revois les films sans fatigue, autant je relis peu.
Quel
livre faut-il lire pour y découvrir un aspect de ta personnalité ?
L'éducation sentimentale de Gustave Flaubert. Je déteste quelque chose de Frédéric Moreau, mais qui dort en moi. Une sorte de pusillanimité. Ou d'indécision blâmable.
Quel livre t'a fait verser tes plus grosses larmes ?
Aucun, parce que et je le prouve. Quand tu pleures, ça fait de l'eau dans tes yeux, de l'eau ça fait loupe ou lentille et tu vois rien de près, à distance de livre. Alors je pleure au cinéma ("Les temps modernes" ou "Honkytonk man", par exemple) parce que l'écran est loin et on peut continuer à regarder en reniflant (non, pas en reniflant, c'est beurk) mais pas en lisant parce que, techniquement, c'est pas jouable.
Quel
livre t'a procuré ta plus forte émotion érotique ?
Soit La liberté ou l'amour de Desnos,
soit Madame Edwarda ou encore Histoire de l'œil de Georges
Bataille. Cette réponse est à prendre au premier degré.
Quel
livre emporterais-tu sur une île déserte ?
USA de John
Dos Passos. Avec ses 1500 pages, ses 10.000 personnages principaux, ses
actualités, ses biographies d’hommes célèbres ou anonymes, sa façon de faire se
rencontrer des histoires faites pour rester parallèles, ce triptyque m’a
toujours passionné.
De
quel livre attends-tu la parution avec la plus grande impatience ?
Le troisième volume de la série dite Underworld USA
de James Ellroy sur l’histoire (ou la contre-histoire) récente des Etats-Unis,
de Kennedy à Nixon, vue du côté latrines. Après American tabloïd (1995) et American death trip
(titre français de The cold six Thousand, 2001), American madness
(titre français de Blood’s rover). Une littérature tellement
dure, rapide et tranchante que j’en suis toujours sorti sans souffle, cassé, presque
sans vie.
Quel
est selon toi le film adapté d'un livre le plus réussi ?
En général, les bons livres font de mauvais films, les réalisateurs sont paralysés par leur immense sujet, mais il y a des exceptions, assez nombreuses. Je retiens Le grand sommeil (The big sleep) de Howard Hawks, d'après Le grand sommeil (The big sleep) de Raymond Chandler. D'abord, on est aussi déboussolé par le film que par le livre. Ensuite, le générique du film montre, dans un noir et blanc très noir, comme le film, un cendrier, deux cigarettes posées dans le cendrier et les volutes de fumée qui s'enlacent et s'embrassent et ça, mes amis, c'est du cinéma.