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Les petits pavés
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3 août 2008

Let's get lost : Chet Baker fait son cinéma

Aff_let_s_get_lostTitre en français : Let's get lost
Titre original : Chet Baker Let's get lost
Etats-Unis - 1988 - 2H00
Date de première sortie : 02/01/1990
Date de reprise : 23/07/2008
Un film de : William Claxton, Bruce Weber
Avec : Chet Baker and friends

Let's get lost est aussi un classique de Chet Baker (enregistrement de 1955) :

boomp3.com

Voilà ce qu'on peut lire sur ce film dans un site qui se dit cinéphile :affiche_Let_s_Get_Lost_1988_1

"Synopsis

La vie du musicien Chet Baker
Let's get lost évoque la vie du célèbre trompettiste Chet Baker qui défraya la chronique dans les années 50. Le film décrit l'itinéraire du musicien, de l'Oklahoma à la Californie, de New York à l'Europe. Sa famille, ses amis et des musiciens du mouvement jazz de la Côte Ouest font partie du voyage et nous suivrons le grand jazzman jusqu'en 1987, un an avant sa mort."
© Camera Press

Outre que le film a mieux à faire que de relater la vie du Grand Homme, quand on écrit comme ça, on se débrouille pour aimer, en musique, les Haricots rouges et appeler ça du jazz et, en film, (il ne me vient aucun titre) et appeler ça du cinéma. Mais employer des expressions comme "célèbre trompettiste ", ou "défrayer la chronique" (effroi chronique, pour moi), enfin "nous suivrons le grand jazzman jusqu'en 1987" pèse son poids de texte convenu et conforme aux dictionnaires.

Je sais qu'à critiquer le style des autres, on prend le risque d'être soi-même ridicule. Oui, mais moi, ridicule ou pas, je m'en bats les oreilles.

ChetLe Jazz et le cinéma sont la plus haute expression du génie du vingtième siècle ; en fait, les deux seules formes d'art non rattachables à une forme existante, apparues ou développées au vingtième siècle. Si le cinéma est un legs de famille de bourgeois lyonnais, le jazz nous vient indirectement d'Afrique. Disons, d'Afrique via les États-Unis, via la traite des noirs, l'esclavage, les assassinats, la lutte pour la dignité et les droits civiques. Je crois qu'un chorus de Lester Young a beaucoup à voir avec le fait, qu'interdite de pisser dans les chiottes de cet hôtel de luxe merdique où elle devait chanter pour ces connards, Lady day a écarté les jambes pour pisser debout dans le salon. Elle qui avait subi pendant des années la "maison de correction" pour avoir été violée par un blanc à 11 ans, savait que pisser, comme prendre un chorus au sax, c'est aussi une question de morale et de dignité.

Le jazz et le cinéma ont connu des relations avouables ou non, mais souvent intimes, presque sexuellement intimes. Dans Ascenseur pour l'échaffaud, de Louis Malle, l'errance de Jeanne Moreau, en deshérence dans Paris la nuit, nimbée des  harmonies de Miles Davis, René Urtreger, Pierre Michelot et et Kenny Clarke est une des plus belles rencontres entre les deux arts, rencontre amoureuse dans un mood, dans un bleu infinis.

Donc, Let's get lost est un film sur le jazz. C'est aussi un film jazz, un film qui swingue ; qui enchaîne harmonies complexes ChetBakeret dysharmonies plaisantes, comme un quartet défoncé, suite névrosée de montagnes russes chromatiques. Et pour les gens qui ont la chance d'aimer (vraiment) le cinéma et d'aimer (vraiment) le jazz, est-il un bonheur plus grand que de voir, sur grand écran, avec sa gueule pas possible, sa voix d'une douceur de larme de femme et son histoire (à laquelle on ne comprend rien d'ailleurs, car chacun se contredit, mais qu'importe), voir Chet Baker répondre, en 1987 à cette question de son réalisateur : " Quand tu reverras ce film dans quelques années, est-ce que ça évoquera pour toi un bon souvenir ? ", voir ces yeux qui animent ce visage cassé par les coups de poings, la drogue, l'alcool, la taule et la musique, voir cette bouche qui s'anime avec ces dents artificielles mais mal foutues, voir cette expression de chat sauvage pris en flagrant délit de vol de poules par un flic des poulaillers, c'est, je ne sais comment dire, c'est percevoir et apercevoir la tragédie, le rire, le sexe, la douceur et la violence, l'altérité et la modestie ; c'est voir en face le visage du génie, le visage, non d'un acteur qui dit son texte, mais d'un homme qui ne sait tout simplement pas. Il a fait ce film, mais manifestement il ne sait pas quoi en penser. On s'est bien marré, il répond, et dans ses yeux incroyables d'humanité blessée, il y a ce Merci monsieur, merci d'être passé dans ma vie. Et il y a l'évidence d'une vérité non dite, qui n'appartient qu'à Chet lui-même.

Cette vérité basculera avec lui par la fenêtre de son hotel, un an plus tard.

Chet Baker habite ce film, avec un sens du retrait en coulisse qui marque le grand mec. Entouré de belles gonzesses, il semble trimballer son mal de vivre bien, comme on trimballerait une contrebasse.

photo_Let_s_Get_Lost_1988_5Je n'ai pas spécialement envie d'écrire sur ce film de jouissance extrême. Si vous avez la chance de le croiser (sa distribution n'est pas celle de Pixar ou de Jacques Perrin), vous seriez ridicules de le manquer.

je l'ai vu au Saint-Germain, petite salle à l'écran limite, mais image nette et son parfait pour un film qui donne à entendre. Bien située à saint-Germain-des-Prés, la salle offre une expo des photos vintage de William Claxton (due à Agnes B.), dont une de Chet chez lui, devant une reproduction grand format de l'image de Michel Poiccart dans la bagnole volée, le flingue dégainé, au début d'A bout de souffle. Jazz et cinéma, cinéma et Jazz. Oh, un des plaisirs du film, c'est Chet, si beau gosse dans les années 50, qui fait l'acteur-musicien dans des films italiens de sous-sol (très bas étage), dont un aux côtés de l'inénarrable Adriano Celentano, l'Elvis rital. Je ne suis pas sûr que beaucoup de spectateurs aient remarqué l'ironie de cette rencontre entre l'ange plaqué-or du rock italien et l'ange, déchu d'avance, de ce que la musique peut produire de mieux et de pire : un héros et une victime.

La bande-annonce du film est elle même, loin de la promotion hystériquement speedée qui a cours depuis quelque temps en la matière, une oeuvre en  soi (J'avais posté hier une version de mauvaise qualité, pensant que ça pouvait quand même donner une idée...) :

Bande-annonce de Let's get lost.

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Commentaires
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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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