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Les petits pavés
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23 février 2008

Prison à vie, prison à mort

« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre ».Thomas Jefferson

Dans une société futuriste, la justice utilise des pre-cognitifs pour anticiper les crimes avant même qu'ils ne soient commis et identifier leurs "auteurs" supposés, personnes innocentes, mais représentant une dangerosité potentielle. Ces personnes peuvent alors être mises hors d'état de nuire. Bien sûr, c'est de la science fiction. C'est le thème d'une nouvelle de Philip K. Dick portée à l'écran par Steven Spielberg sous le titre Minority report.

Dans une société tout aussi invraisemblable qui se trouve malheureusement être la nôtre, le 21 février 2008, le conseil constitutionnel a, sous des réserves mineures, validé la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Ça veut dire quoi ?

Voici un extrait du texte voté par les assemblées et validé par le conseil constitutionnel. C'est peut-être technique pour les non-juristes, mais assez facile à comprendre, si on fait abstraction de la série d'articles du code pénal référencée.

"De la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté

"Art. 706-53-13. – À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté selon les modalités prévues par le présent chapitre, à la condition qu'elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration.

« Il en est de même pour les crimes, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221‑4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222‑26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal."

Merci de faire la part des choses. Je n'éprouve aucune sympathie particulière pour les auteurs d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé etc.

Mais la Justice représente, pour moi, et pour vous j'imagine, quelque chose qui a trait aux droits fondamentaux de l'individu.

En créant des centres d'internement à vie pour des criminels supposés dangereux, la loi portée par Rachida Dati et inspirée par le Président de la République instaure une sorte de peine de non vie, une restauration métaphorique de la peine de mort. Pour des criminels ayant purgé leur peine (et il s'agit bien de ça, de criminels, condamnés par la justice et qui, comme on dit, ont payé leur dette à la société) le mot espoir sera rayé du dictionnaire. Peine perdue, dit-on, peine effectuée peut-être mais, contre tous les principes qui animent notre sentiment de justice, ils resteront incarcérés dans des hôpitaux prisons dont, comme les condamnés à mort, ils ne sortiront pas vivants.

Par moments, j'ai honte d'être français, de cette image que la France donne d'elle-même au reste du monde. Image putassière.


Lorsque la loi n'était qu'un projet extraordinairement démagogique et choquant pour toute conscience attachée à la notion de justice, bien des voix se sont élevées contre. Aujourd'hui, la loi est votée et validée par le conseil constitutionnel. Le président qui l'a voulue, pour plaire à nouveau à cette partie nauséadonde de son électorat qui réclame plus et plus de violence et de haine, n'a plus qu'à la promulguer pour qu'elle devienne "loi de la République". Impression bizarre.

3f1dca60d76ed85b06d9bca43e44a633Parmi les voix qui se sont élevées contre ce projet totalitaire, une me semble plus haute, plus légitime que les autres. Robert Badinter restera dans l'histoire comme l'homme, le ministre de la justice (et dati devrait peut-être réfléchir à la relativité des choses et des dimensions) qui a proposé au Parlement l'abolition de la peine de mort et qui a permis à notre pays de faire un bond, tardif sans doute (la guillotine a continué à rougir du "sang d'homme" jusqu'à VGE) vers la civillisation.

Il s'exprimait ainsi dans Le Monde sur le projet de loi de sa cadette.

(Pour ceux que la hauteur, la civillisation, la morale et l'histoire intéressent, suivre ce lien pour lire le discours de Robert Badinter devant l'Assemblée Nationale, le 17 septembre 1981. Ce discours commençait par cette formule, simplissime et si forte : "Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j'ai l'honneur au nom du Gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France." Nous avions tant attendu que ces mots fussent prononcés).

Ici, Robert Badinter nous parle de la justice aujourd'hui.


Et une petite chanson de François Béranger, juste pour l'ambiance festive.

boomp3.com


lemondefr_pet

Point de vue

La prison après la peine, par Robert Badinter

LE MONDE | 27.11.07 | 12h56  •  Mis à jour le 07.01.08 | 20h30

e façon anodine, le gouvernement va saisir le Parlement d'un projet de loi créant la "rétention de sûreté" dans notre droit pénal. Il s'agit d'un changement profond d'orientation de notre justice. Il faut rappeler les fondements de la justice, depuis la révolution des Droits de l'homme. Parce que tout être humain est réputé doué de raison, il est déclaré responsable de ses actes. S'il viole la loi, il doit en répondre devant des juges indépendants. A l'issue d'un procès public, où les droits de la défense auront été respectés, s'il est déclaré coupable, il devra purger une peine prévue par la loi. Tels sont les impératifs de la justice dans un Etat fondé sur la liberté.

Or le projet de loi contourne le roc de ces principes. Il ne s'agira plus seulement pour le juge, gardien de nos libertés individuelles, de constater une infraction et de prononcer une peine contre son auteur. Après l'achèvement de sa peine, après avoir "payé sa dette à la société", au lieu d'être libéré, le condamné pourra être "retenu", placé dans un "centre sociomédico-judiciaire de sûreté", par une décision d'une commission de magistrats pour une durée d'une année, renouvelable, parce qu'il présenterait selon des experts une "particulière dangerosité" entraînant un risque élevé de récidive.

Le lien entre une infraction commise et l'emprisonnement de son auteur disparaît. Le "retenu" sera détenu dans un établissement fermé et sécurisé, en fonction d'une "dangerosité" décelée par des psychiatres et prise en compte par une commission spécialisée. Et aussi longtemps que ce diagnostic subsistera, il pourra être retenu dans cette prison-hôpital ou hôpital-prison. Nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses (le crime virtuel qui pourrait être commis par cet homme "dangereux").

Aujourd'hui, le juge se fonde sur la personnalité du condamné pour décider de libération conditionnelle, de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de permission de sortie. Mais il s'agit là toujours de mesures prises dans le cadre de l'exécution de la peine, pour préparer la sortie du condamné, parce qu'elles facilitent la réinsertion et limitent la récidive, comme une expérience séculaire a permis de l'établir. Dans la mesure qui nous est proposée, il s'agit au contraire de retenir le condamné "dangereux" après sa peine dans une prison particulière pour prévenir tout risque de récidive. Il ne suffit plus, estime-t-on, d'imposer au condamné après sa libération les mesures très rigoureuses de contrôle, de surveillance, de traitement de plus en plus contraignantes que les lois successives ont multipliées dans la dernière décennie : suivi socio-judiciaire avec injonction de soins (1998), surveillance judiciaire (2003), fichier judiciaire avec obligation de se présenter à la police (2004), surveillance électronique par bracelet mobile (2005).

Depuis dix années, quand un fait divers particulièrement odieux suscite l'indignation du public, on durcit les peines et on accroît les rigueurs des contrôles. Mais jusqu'à présent on a toujours respecté le principe de la responsabilité pénale. C'est la violation des obligations du contrôle par celui qui y est astreint qui entraîne à nouveau son incarcération. C'est l'infraction qu'il commet en manquant à ses obligations qui le ramène en détention.

Avec la loi nouvelle, le lien est rompu : il n'y a plus d'infraction commise, mais un diagnostic psychiatrique de "dangerosité", d'une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes. Que reste-t-il de la présomption d'innocence dans un tel système ? Après un siècle, nous voyons réapparaître le spectre de "l'homme dangereux" des positivistes italiens Lombroso et Ferri, et la conception d'un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des Etats totalitaires.

On dira que le texte ne prévoit cette "rétention de sûreté" que pour des criminels particulièrement odieux, pédophiles, violeurs, meurtriers, agresseurs de mineurs, condamnés au moins à quinze ans de réclusion criminelle. On soulignera que le texte exige que la mesure soit demandée par une commission pluridisciplinaire et décidée par des magistrats. Des voies de recours en appel et cassation sont prévues. On marquera que la rétention ne sera ordonnée qu'au vu d'expertises psychiatriques sur la dangerosité du sujet. Est-il besoin de rappeler que ce concept de dangerosité demeure incertain dans sa mise en oeuvre ? Et l'expérience des dernières années laisse présager qu'au premier fait divers odieux, échappant aux catégories criminelles visées par la "rétention de sûreté", celle-ci sera aussitôt élargie à tous les auteurs des crimes les plus graves, qu'il s'agisse de violeurs ou de meurtriers. Et l'on verra s'accroître toujours plus le domaine d'une "justice" de sûreté, au détriment d'une justice de responsabilité, garante de la liberté individuelle.

Pour ceux auxquels elle sera applicable, qu'impliquera cette rétention de sûreté s'ajoutant à la peine déjà purgée ? Tout condamné ressasse jusqu'à l'obsession le nombre d'années, de mois, de jours qui le séparent de sa libération. Quand il a accompli sa peine, payé sa dette à la société, il a conscience d'avoir droit à cette libération. Et voici que par l'effet de la loi nouvelle, cette certitude-là vacille et s'éteint. Il n'y aura plus pour lui d'assurance de retrouver sa liberté après avoir purgé sa condamnation. Sa liberté, même s'il s'est bien comporté en prison, ne dépendra plus de l'achèvement de sa peine, elle sera soumise à l'appréciation de psychiatres et d'experts qui concluront ou non qu'il est atteint d'une affection particulière, la "dangerosité sociale".

Et les juges gardiens de la liberté individuelle, au nom du principe de précaution sociale, pourront le maintenir en détention après sa peine. Pour cet homme-là, quelle incitation à préparer, en détention, son avenir ? A l'attente, on ajoutera l'angoisse de l'incertitude. Notre justice aura changé de boussole. Ce n'est plus la loi qui la guidera, mais des batteries de tests psychiatriques inspireront ses décisions. Quant à l'homme réputé dangereux, il ne lui restera pour toute espérance que celle d'un diagnostic nouveau qui ne dépendra pas nécessairement de son comportement conscient.

Aujourd'hui, le criminel sexuel, surtout pédophile, est volontiers dépeint comme le mal absolu, le monstre qui hante nos angoisses et nos peurs. S'agissant de ceux auxquels sera applicable cette "rétention de sûreté", le mot qui vient à l'esprit pour les qualifier est celui de Victor Hugo : ce sont des "misérables" que notre justice psychiatrisée fabriquera demain dans nos prisons.


Robert Badinter est sénateur des Hauts-de-Seine (PS), ancien ministre de la justice.


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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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