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Les petits pavés
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17 février 2008

Leonard Cohen (2) : A portrait of the artist as a young man

lcohen

1966 marque un tournant dans la carrière de Leonard Cohen. Connu jusque là en Amérique du Nord comme romancier et poète, il vit depuis 7 ans en Grèce et sort un nouveau roman, Beautiful Losers. Alors que la critique canadienne décrie ce second (et donc dernier) roman, déjanté, le Boston Globe compare son auteur à James Joyce (1). C’est à cette époque qu’il glisse de la poésie à la chanson. En 1967 il rentrera en Amérique du Nord, rencontrera Judy Collins qui lui offrira "Suzanne", titre qui lancera sa carrière de chanteur et le fera découvrir en Europe.

A l’occasion de la sortie de son roman Beautiful Losers, il est invité le 1er mai 1966 sur le plateau d’une émission phare de l’époque sur CBS, This Hour Has Seven Days (1964-1966). L’extrait qu’on peut voir sur Internet (2) ne présente qu’une petite dizaine de minutes de cette interview, mais j’ai été frappé par la richesse de ce document qui, outre les paroles prononcées elles-mêmes, laisse apparaître à travers les attitudes et les tons de voix la personnalité complexe de cet artiste.

Patrick Watson introduit l’interview par ces mots "Malgré un air de vulnérabilité fragile, c’est un jeune homme très sûr de lui". Je me demande s’il n’aurait pas pu dire le contraire : malgré son apparente confiance en lui, c’est un jeune homme fragile.
Les échanges entre l’intervieweuse Beryl Fox et Leonard Cohen oscillent entre légèreté, humour, parfois acerbe, et sérieux, regard critique, mais toujours révélateurs.

L. C., LE CANADIEN
Concernant les critiques et la réaction des censeurs à la sortie de son roman : "On pourrait considérer cela comme un triomphe en 1966. Les censeurs passent un mauvais moment […] parce que la société semble en faire beaucoup quant aux orgasmes, à ses appétits et la liberté. Ainsi, en écrivant un roman pornographique, d’une certaine manière on se retrouve placé de force dans le rôle d’un héros très mineur."
Plus loin, il plaisante sur l’absence de gouvernement réel au Canada. Watson avait déjà cité l’artiste sur son rapport au Canada, Leonard Cohen ne revenant que très épisodiquement pour "renouveler [son] affiliation névrotique" avec le pays.
D’autres passages dévoilent son humour, comme lorsqu’il annonce à Beryl Fox qu’il a pensé changer son nom (une manière de disparaître ?) et se faire tatouer. De même que la manière dont il élude la question sur l’endroit du tatouage, indiquant un boulevard de Montréal.

L. C., L'ÉCRIVAIN
Beryl Fox commence son interview en le présentant comme "un homme doux qui écrit des poèmes très surprenants et brutaux." "Je pensais que j’étais une homme brutal et surprenant qui écrivait des poèmes lyriques très doux."
"Cette activité particulière (l’écriture) est portée en pleine lumière car [les écrivains] laissent des preuves de leurs combats intérieurs. D’autres catégories de gens ne laissent pas ce genre de preuves. Comme les maçons. Il est impossible de voir l’angoisse qui habite la vie de l’homme dans un mur. Mais en raison de la nature de l’écriture, la chose s’y exprime clairement."
Répondant à une question sur le fait de gagner de l’argent en vendant cette angoisse : "Si vous pouvez vendre cette angoisse, alors vous avez probablement fait la meilleure chose possible avec votre angoisse. Tout ce qu’on réussit à faire de son angoisse est bien. La publication est une forme mineure d’invisibilité. Je pense que si vous réussissez à devenir bon, vous disparaissez."
S’insurgeant contre une remarque de la journaliste, disant qu’il avait "fini" par devenir poète, comme une étiquette : "Je n’ai pas fini en poète. […] Je ne recherchais pas ça. C’est juste une sorte de carte d’identité que vous devez porter parce que les gens continuent à vous demander une carte d’identité. […] La poésie n’est pas un domaine exclusivement réservé aux écrivains et aux poètes Et on vous juge poète, vous ne le choisissez pas."

L. C., L'ARTISTE ET L'AMOUR
"Je n’ai jamais écrit de poème abstrait. Quand j’ai écrit ce qu’on appelle un poème d’amour, je l’ai écrit pour quelqu’un. Et si je pense que ce texte est bon, alors je peux le publier parce que s’il est assez bon il devient anonyme, […] il représente l’ensemble, et non son numéro de téléphone."
"Je pense que tous ceux qui ne sont pas amoureux devraient divorcer. Parfois, je descends dans la rue et, si je ne suis pas [d’humeur à tout bénir], je fais divorcer tout le monde dans toutes les maisons, et je vois les gens sortir en courant et partir dans des directions différentes. Et je me dis que j’ai vraiment fait le ménage dans les rues."

L. C., LE CHANTEUR ET L'IDÉE DE LIBERTÉ
"Je me suis toujours pensé chanteur, et je me suis en quelque sorte laissé détourner vers laleonard_cohen_3806 littérature."
La fin de l’extrait, dont je ne sais à quel moment de l’émission elle correspond, est peut-être la plus révélatrice. Les échanges sont beaucoup plus brefs et Cohen, tout en restant très poli, a changé d’attitude.
La journaliste l’interroge sur l’idée de liberté. "Je n’en parle jamais vraiment. C’est vous qui avez amené ça sur le tapis. [...] Je l’ai (le mot liberté) utilisé par courtoisie", et la journaliste de relancer : "Et bien maintenant expliquez ce que vous entendez, par courtoisie". On sent le ton changer.
Léonard Cohen lie alors l’idée de liberté à la chanson :
"Je me sens libre quand je chante… et j’aimerais être en train de chanter à cet instant". Une manière d’exprimer un malaise ? Sans doute, puisque malgré l’insistance de l’intervieweuse, il se refuse à chanter : "Je n’ai pas apporté mes partitions. […] Ça ("Ecoutez les bruits dans votre tête") n’est pas de la musique. […] Je ne pourrais pas le faire."
Et la journaliste d’insister encore (plus lourdement) : "Pourquoi ? Comment le savez-vous tant que vous n’en faites pas l’expérience ? Je m’apprête à vous rendre libre ".
La réponse de Cohen, dernière de l’extrait, coupée d’ailleurs avant la fin de la phrase, me semble essentielle : "Non. Vous n’êtes pas sur le point d’éteindre... [les lumières ? les caméras ?]"

(1) Site des fans : Leonard Cohen Files
(2) Site des archives de CBS

Leonard Cohen - This Hour Has Seven Days


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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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