La chasse aux couples "mixtes" est ouverte
Un article de Libé que vous n'avez peut-être pas lu.
Suspectant des mariages blancs, la préfecture multiplie les enquêtes à la limite de la légalité.
Hérault : haro sur les unions mixtes
Par Carole RAP
QUOTIDIEN : lundi 16 avril 2007
Montpellier correspondance
Français qui épousez un étranger, la police vous a à l'oeil. Affichez la plus belle photo de vos noces sur le mur du salon, sinon vous risquez de voir l'amour de votre vie invité à «quitter le territoire français» pour cause de mariage blanc. Tout comme les conditions du regroupement familial dont Nicolas Sarkozy a annoncé qu'elles seraient encore restreintes avec le vote d'une loi dès l'été s'il est élu à la présidence de la République , le contexte ne cesse de se durcir pour les étrangers qui sollicitent un titre de séjour au titre de conjoints de Français.
«Aucune photo». L'exemple héraultais illustre la multiplication des enquêtes, administratives ou judiciaires, menées sur les couples mixtes. La préfecture de l'Hérault ne veut pas donner de chiffres, mais les services de police chargés des «enquêtes de communauté de vie» sont débordés. «On croule sous les dossiers de la préfecture, les délais sont très durs à tenir», confirme le capitaine de police Patrick Ponzoni, chef du secteur centre à Montpellier. Son service a ainsi traité 350 affaires en 2006, mais a reçu «beaucoup plus de demandes» de la part des autorités. Les rapports émis par la police ou la gendarmerie sont un maillon essentiel dans l'attribution des titres de séjour, comme le confirme le capitaine Ponzoni : «Nous donnons un avis favorable ou défavorable. Souvent, on est suivis par la préfecture.»
Sur le terrain, personne ne contrôle le travail des policiers, et les personnes concernées n'ont même pas accès au rapport d'enquête. Samira et Mourad Hemadai en ont fait les frais. Cette Française de 40 ans a épousé, en 2003, Mourad Hemadai, un Algérien de 35 ans vivant en France depuis 2000 et dont le titre de séjour n'avait pas été renouvelé. L'an dernier, un après-midi de semaine, deux policiers débarquent à leur domicile sans prévenir. Mourad est absent, Samira l'appelle. Il arrive peu après. Cela suffit à faire naître des soupçons chez la policière, qui les questionne sur leur rencontre. Ils lui racontent qu'ils se sont mariés un mois après s'être connus. «Elle nous a demandé pourquoi on s'était mariés si vite, si on avait des enfants, si on voulait en avoir», se souvient Samira.
Quelques jours plus tard, la gardienne de la paix envoie son rapport au préfet de l'Hérault. «Le mariage a été célébré le 13 septembre 2003, seulement un mois après leur rencontre», indique la policière. Persuadée d'être tombée sur un mariage blanc, celle-ci précise qu' «aucune photo de mariage n'est présente dans la pièce principale de la maison» et que «de cette union n'est pas né d'enfant». De quoi conclure qu'un «mariage de complaisance avait été établi entre le couple dans le seul but de régulariser la situation administrative de M. Hemadai Mourad».
Deux mois plus tard, Mourad reçoit de la préfecture un avis d'expulsion. Samira contacte la Cimade Languedoc-Roussillon, qui saisit le tribunal administratif de Montpellier. Celui-ci constate «un manquement des agents de la police nationale à leurs obligations déontologiques d'impartialité et de respect des personnes». Les magistrats évoquent «une dénaturation des éléments constatés au domicile commun des époux et des propos de ces derniers», ajoutant que «le préfet s'est fondé sur des éléments inexacts et recueillis dans des conditions irrégulières». Le refus du préfet de l'Hérault de renouveler le titre de séjour a été suspendu. En attendant que sa demande soit jugée sur le fond, Mourad vient d'obtenir une autorisation de séjour d'un an.
«Religion». Tous les conjoints de Français n'ont pas cette chance. Delphine, une Française de 32 ans, et Majid, un Marocain d'une trentaine d'années, devaient se dire oui fin juin 2006 dans une commune de l'Hérault. Une semaine avant, ils reçoivent une lettre du procureur de la République, intitulée «Sursis à célébration de mariage». Une enquête est diligentée pour vérifier s'il s'agit d'un mariage blanc. Convoqués à la gendarmerie, ils subissent chacun à leur tour, et séparément, un interrogatoire qui fait encore frémir Delphine. «Un gendarme m'a posé des questions inadmissibles : "Combien de fois faites-vous l'amour par jour, par semaine ? "Je lui ai dit : "Et vous ?" Il m'a répondu : "Je suis désolé, c'est mon boulot."» Les questions fusent : «Comment votre mari pratique-t-il sa religion ?» «Vous saviez qu'il était marié auparavant ?» «Vous connaissez son ex-femme ?» Quant à Majid, il se dit étonné d'avoir eu «beaucoup de questions sur [son] ex-femme, les raisons du divorce, et peu de questions sur [lui] et [sa] femme» . Les noces ont finalement été autorisées, mais le préfet a refusé un titre de séjour à Majid quelques mois plus tard. Pour Nicolas Ferran, juriste salarié de la Cimade, «aucun Français n'accepterait qu'on entre à ce point dans sa vie. Et derrière ça, il y a une normalisation de la vie familiale. Car en contrepartie des gens développent des stratégies pour montrer qu'il y a communauté de vie».