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Les petits pavés
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6 février 2007

Famile Raba : des nouvelles par Libé

Rester vigilants. Les Raba doivent revenir en France, leur pays.

Article de Libé.

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Kosovo

Terrés depuis leur expulsion

Shpresa et Jusuf Raba et leurs trois enfants, expulsés après cinq ans passés en Haute-Saône, sont devenus des parias dans leur petite ville de Rahovec, au Kosovo. A la honte du viol subi par la mère en 2001 s'ajoute celle d'être les seuls albanophones reconduits de force.

Par Olivier BERTRAND

QUOTIDIEN : mardi 6 février 2007

Rahovec (Kosovo) envoyé spécial

 

Les Raba se sont aménagé une petite France, au rez-de-chaussée d'une maison de Rahovec, au Kosovo. Ils y vivent retranchés du pays, repliés sur eux-mêmes. Qirim, le fils aîné, 8 ans, conserve dans une grande enveloppe les lettres et dessins que lui envoient, de France, ses copains de classe. Jusqu'en novembre, il allait à l'école à Gray (Haute-Saône). Puis un matin, des gendarmes ont frappé à la porte, à l'heure du petit déjeuner. Sa famille a été expulsée trois semaines plus tard, par avion spécial, après cinq ans passés en France. Quel enjeu, quelle urgence, pour mobiliser de tels moyens afin d'éloigner deux parents et leurs trois enfants ? Les Raba ne savent pas. Tout le monde à Gray témoigne de leur excellente intégration, de la vitesse à laquelle ils ont appris le français. Les voisins, les instituteurs, des militants, appellent à tour de rôle sur les téléphones portables. Des colis arrivent régulièrement, avec des livres en français, des jouets pour les trois enfants. Une profusion qui noie un peu la famille, et ne pousse pas à se projeter au Kosovo. Les Raba ne le veulent pas. Ils veulent rentrer en France, le plus vite possible.

La maison où ils ont agencé leur camp retranché est louée d'ordinaire par des fonctionnaires internationaux (1). Refuge confortable, comparé aux premières semaines, où ils étaient terrés dans une pièce chez les parents de Jusuf, le père, avec les cris de la grand-mère, fragile avant la guerre, folle depuis. Mais les conditions de vie restent rudes. L'électricité, rationnée au Kosovo, fonctionne trois heures, puis est coupée pendant six heures. Il faut le soir surchauffer la chambre dans laquelle la famille de cinq personnes dort. La pièce devient glaciale au milieu de la nuit. Le jour, les Raba vivent dans la pièce d'à-côté, également surchauffée. Les enfants (3, 4, 8 ans) s'agitent, crient, pleurent, tournent en rond et se disputent.

Les parents craquent. Des poches sombres sous les yeux de Jusuf trahissent le début de dépression qu'il soigne aux antidépresseurs. Ce huis clos familial n'est rompu que par les quelques courses dans une épicerie voisine. Le reste du temps, personne ne sort. Les parents disent qu'ils ont peur, car Shpresa, la femme de Jusuf, a été agressée, en 2001. Ils ne savent pas si l'auteur vit encore dans la région.

Sont-ils réellement menacés? Ce n'est pas certain, ni totalement exclu, car la mère a donné le nom de son agresseur. Mais les circonstances de leur fuite, puis celles de leur retour, rendent impossible une réinsertion dans cette ville, où la famille se trouve en état de mort sociale.

Jusuf (27 ans) et Shpresa (26) sont nés dans ce bourg de 25 000 habitants, au pied des montagnes kosovares, à soixante kilomètres de Pristina. Il y reste une minorité serbe, repliée dans le ghetto voisin. Quelques Roms. Le reste de la ville est peuplé de musulmans albanophones, comme eux. Ils se sont connus vers l'âge de 10 ans et avaient alors de nombreux copains serbes. Puis les violences interethniques ont ravagé la région où l'armée de libération albanaise, l'UCK, était bien implantée. Jusuf et Shpresa se sont mariés au sortir de l'adolescence. Ils ont vécu chez les parents de Jusuf et ont tourné le dos à la guerre. Plutôt que de rejoindre l'UCK, Jusuf a travaillé comme bûcheron avec son père. Un jour, la grande maison familiale a été incendiée. Les ruines sont toujours là, légèrement noircies, avec de longs arbres fins qui ont poussé dans le salon. Qirim avait trois semaines. Ils ont fui vers l'Albanie, dans un camp de réfugiés, et ne sont rentrés qu'après les bombardements de l'Otan.

    «Toi trop ami des Serbes»

Au retour, un ami serbe, en fuite vers Belgrade, leur a prêté un appartement dans le centre. C'est là, dit Shpresa, que s'est produite l'agression, en 2001. Trois hommes ont d'abord tenté d'enrôler son mari, en se disant de l'UCK. Jusuf: «Ils m'ont dit: "Viens avec nous, on va brûler maisons serbes." Moi j'ai dit je ne brûle pas de maisons serbes. J'ai beaucoup d'amis serbes. Ils ont dit : "Toi, tu es trop ami des Serbes."» Officiellement, l'UCK était déjà dissoute à l'époque. «Mais n'importe qui pouvait s'en revendiquer, et c'est vrai que quelques maisons serbes ont été incendiées dans cette période-là», concède Beqir Haxhijaha, officier «chargé des retours» au sein de la municipalité, et l'un des rares habitants à avoir rendu visite à la famille. Une fonctionnaire internationale l'avait alerté sur leur sort. Shpresa lui a raconté l'agression.

Quelques jours après la tentative d'enrôlement de Jusuf, l'un des trois hommes serait revenu, seul, pour agresser Shpresa. Il travaillait de nuit, dans la sécurité, à Rahovec ; habitait Malicevo, ville voisine, albanophone et radicale, point de départ de la résistance. Ces confidences embarrassent Beqir Haxhijaha. Elles souillent l'image de l'UCK, et la vie sociale, au Kosovo, s'organise en clans familiaux; il n'est pas recommandé de s'intéresser aux affaires des autres. Mais Shpresa lui a donné le nom de l'agresseur, et ceux des deux autres hommes.

    «Toute ta famille reste sale»

La jeune femme dit que l'agression sexuelle a fait d'elle un paria dans la ville. «Ici, soupire-t-elle, si tu as été violée, tu es salie, et toute ta famille reste sale. Même tes enfants, après, ils ont du mal à se marier.» Le code d'honneur albanais a même longtemps imposé au mari de tuer sa femme, pour laver la famille. Shpresa assure que son père, informé de l'agression, a demandé à Jusuf de le faire. Kristin (2), fonctionnaire internationale qui l'a rencontrée et qui connaît bien la région, relativise : «Le code d'honneur n'est plus en vigueur que dans les villages très reculés. Il s'agit d'une mort symbolique, une répudiation.» Comme tout le monde à Rahovec, les parents de Shpresa savent qu'elle est rentrée. Ils ne se sont pas venus la voir.

A la honte de l'agression, s'ajoute celle de l'expulsion. Revenir avec des policiers, sans un sou ni papiers, n'est jamais bien perçu. Mais il y a plus ennuyeux, dans le cas des Raba. De toute l'année 2006, à Rahovec, ils sont les seuls albanophones à avoir été reconduits de force. Les statistiques de la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (Minuk) dénombrent 58 rapatriements forcés. Des Roms et des «Egyptiens», minorités d'ailleurs menacées. La plupart venaient d'Allemagne ou de Suisse. Une seule famille a été refoulée de France. Les Raba. «Personne, dit Shpresa, ne peut croire que la France a expulsé sans raison. Les gens, ils disent Jusuf, il a volé, ou il a fait quelque chose avec la drogue.»

Difficile de vérifier la perception des habitants. Quelques regards ironiques accompagnent les Français qui visitent les Raba. Personne ne veut se mêler de l'histoire. Mais tout le monde sait que les cinq frères et deux soeurs de Jusuf ont tous obtenu l'asile politique, et certains, la nationalité française (3).

Beqir Haxhijaha, 58 ans, ancien professeur au collège, influent à la mosquée centrale, connaît bien la ville, ses familles. Il interprète le sentiment général: «Tout le monde se dit que s'ils reviennent après cinq ans en France et avec deux enfants nés là-bas, alors que tous les autres ont été intégrés, c'est qu'ils étaient mauvais pour la société française.» Kristin, la fonctionnaire internationale, a constaté ce rejet. Il y a quelques semaines, à sa demande, des collègues kosovars ont cherché une maison, afin que les Raba prennent leurs distances avec la grand-mère. Personne ne voulait leur louer. Seul le propriétaire d'un magasin de confection a accepté, contre un loyer élevé. Réseau Education sans frontières verse 200 euros par mois.

L'histoire est revenue aux oreilles de Massamba Seck, représentant de la Minuk à Rahovec. Il hoche la tête, et commente en français: «La question de l'immigration est très politisée chez vous. Par moments, nous avons du mal à comprendre comment les choix sont faits. Les populations locales se retrouvent à gérer des situations impossibles.»

Que peut-il advenir à présent ? Marie-Noëlle Fréry, avocate des Raba depuis décembre, espère un retour officiel, pour qu'une nouvelle demande d'asile soit déposée, et instruite soigneusement. Mais la famille perd patience, parle de revenir clandestinement. Ce sera difficile. Les frontières se sont refermées et les prix envolés. Il faut désormais 12 000 euros pour cinq personnes, contre 10 000 marks (5 100 euros) pour trois en 2001.

    «Je crois qu'ils sont grillés»

Autre possibilité: surmonter la honte, les peurs, et tenter de se réinsérer ? Pour cela, il faudrait distendre progressivement les liens avec la France. Mais Jusuf et Shpresa menacent de se tuer plutôt que de rester. A Rahovec, tout le monde doute d'une intégration. Kristin relève que les enfants ne comprennent que le rahoveci. Avant, ce dialecte local très inspiré du serbe servait de creuset aux communautés. Il est à présent rejeté, interdit à l'école. «Ils se retrouvent dans un enfermement total, avec sans doute une part de rejet psychologique, ajoute la fonctionnaire. Mais je crois aussi qu'ils sont grillés, du fait de l'agression et des soupçons liés à l'expulsion.» Elle a signé une lettre envoyée le 15 décembre à Nicolas Sarkozy par un autre fonctionnaire international, contre le gré de leurs supérieurs. Le courrier explique la situation, demande s'il n'est pas possible de réexaminer la situation. L'Allemagne et la Suisse, lorsqu'elles sont ainsi alertées, acceptent de reconsidérer les dossiers, et parfois de revenir en arrière. Elles accusent au moins réception. Le ministre de l'Intérieur n'a pas encore répondu.

Beqir Haxhijaha, lui aussi, a écrit, en anglais. Sans plus de réponse. «Ces enfants me touchent, dit-il. Ils sont perdus, totalement tournés vers la France. Pour moi, le mieux qui puisse arriver à ces gens maintenant, c'est de quitter ce pays.»



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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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