Elèves sans papiers : le «coup» de la circulaire Sarkozy
Depuis quelque temps, je m'exprime moins sur les expulsions de sans papiers, adultes, enfants, familles. En effet, les médias ont beaucoup relayé certains événements récents.
Pour ceux (celles) qui n'ont pas lu Libé aujourd'hui, je publie néanmoins un article qui revient sur un point essentiel dont nous n'avons jamais douté ici : le caractère arbitraire et profondément déloyale et réactionnaire de la fameuse "circulaire Sarkozy" et de son application.
Dans son rapport, aujourd'hui, la Cimade décrypte les intentions réelles de l'ex-ministre.
Elèves sans papiers : le «coup» de la circulaire Sarkozy
Par Catherine COROLLER
QUOTIDIEN : jeudi 5 avril 2007
C'est la radiographie d'une
«triste farce» que livre aujourd'hui la Cimade (service
oecuménique d'entraide, qui se consacre à l'accompagnement des
étrangers). Le titre du rapport qu'elle consacre à
«la circulaire du 13 juin 2006 relative à la régularisation des
familles étrangères d'enfants scolarisés» est éloquent :
«De la loterie à la tromperie». Maître d'oeuvre de cet
épisode ? Nicolas Sarkozy. En juin 2006, l'ex-ministre de
l'Intérieur publiait une circulaire ouvrant des possibilités
exceptionnelles de régularisation aux parents sans papiers
d'enfants scolarisés. Depuis des mois, les militants du Réseau
éducation sans frontières (RESF) faisaient peser, en effet, sur lui
et ses services une pression constante.
«C'est dans ce contexte d'intense mobilisation que Nicolas
Sarkozy annonce, le 6 juin 2006, la possibilité d'être régularisées
pour des familles "dont les enfants sont nés en France, ont
toujours été scolarisés et ne parlent pas la langue de leur pays
d'origine"», rappelle la Cimade.
«Coup politique». Une semaine plus tard, la fameuse circulaire est publiée, soumettant une éventuelle régularisation à six critères. Certains «objectifs» comme les deux années de résidence en France d'au moins un des parents ou la scolarisation effective d'un enfant au minimum. D'autres «subjectifs» comme l' «absence de lien de cet enfant avec le pays dont il a la nationalité» ou «la réelle volonté d'intégration». 33 538 demandes sont déposées dans les préfectures. Mais, méfiantes, les associations s'interrogent sur les arrière-pensées politiques de Sarkozy.
Dans son rapport, la Cimade tranche, jugeant que toute cette affaire n'a été, pour Sarkozy, qu'un «coup politique». «Casser le mouvement de mobilisation engagé autour des familles en accordant quelques milliers de régularisations puis donner des gages de fermeté en affichant plus de 24 000 refus de séjour semblent avoir été les véritables objectifs poursuivis.»
La Cimade démonte soigneusement l'opération. Selon elle, le ministre a eu pour obsession, dès la parution de son texte, d' «éviter le "succès" de la circulaire» et de «limiter le nombre des régularisations». Immédiatement, les préfectures ont été assaillies. «Cet afflux, pourtant prévisible, ne semble pas avoir été anticipé ni préparé par le ministère», accuse la Cimade. Parce qu'il n'a jamais été question de régulariser toutes les familles répondant aux critères ? Signe révélateur, selon les associations, «certaines préfectures ont refusé de délivrer des formulaires de demande de régularisation ou d'enregistrer des demandes, empêchant les familles d'accéder à la procédure». A Paris, au contraire, les étrangers sont d'abord très bien accueillis : «Les familles se présentaient pour déposer leur dossier et se voyaient proposer un entretien le lendemain ou la semaine suivante», et certaines «ne respectant pas tous les critères étaient régularisées».
«Mentir». Le 24 juillet, changement de ton.
«Ce jour-là, devant les préfets réunis, [Sarkozy] "resserre les
boulons" et évoque un quota de régularisations : "On peut
raisonnablement s'attendre à ce que 20 000 demandes soient
présentées, ce qui aboutira, au total, à attribuer des cartes de
séjour à 6 000 personnes."» Commentaire de la Cimade :
«Cela s'appelle fixer un quota et conduit à faire mentir la
promesse initiale d'un examen particulier de chaque
dossier.» Après cette date, les portes de la préfecture de Paris
se referment :
«Les délais pour obtenir une convocation à l'entretien
s'allongent. La préfecture de Paris, qui jusqu'alors fixait les
rendez-vous très rapidement, n'en donnait plus, attendant les
directives. La plupart des dossiers suivis et déposés à partir de
ce moment furent rejetés.» Sur quels critères ?
«Les décisions de refus montrent que les liens conservés avec le
pays de nationalité ont été très souvent mobilisés pour rejeter des
demandes répondant pourtant aux critères», souligne la Cimade,
qui dénonce également dans beaucoup de cas la
«non-motivation des refus des régularisations».
Complice. Patrick Peugeot, le président de la Cimade,
a des mots très durs.
«A travers la manière dont ont été traitées ces milliers de
familles, c'est de la maltraitance quotidienne des étrangers et du
désordre imposé dans les services préfectoraux que ce rapport
témoigne», écrit-il. L'avocat Arno Klarsfeld, nommé médiateur
par Sarkozy, a été complice de cette farce, et a multiplié les
déclarations contradictoires, affirmant d'abord que
«la régularisation sera "généreuse"», puis que
«l'Etat ne peut pas régulariser tous les parents qui ont des
enfants scolarisés». En conclusion, Patrick Peugeot
«[exhorte] les futurs élus de ce pays à régulariser ces
familles, afin que ces milliers d'enfants ne grandissent pas dans
le sentiment que leur vie aura été l'otage d'une opération de
communication».
Le rapport sur le site de la CIMADE