Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les petits pavés
Les petits pavés
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 244 854
4 septembre 2007

Soyons "un peu lents" pour découvrir plus vite

En écoutant Volta de Björk,

réflexions sur les temps d'assimilation

Je pense à ceux qui m'ont dit récemment deux choses à propos de Volta, le récent album de Björk,

1.  Non je l'ai pas trop écouté

2. Je n'ai pas trop accroché

Je n'en veux absolument pas à ces personnes et ne les considère pas comme des crétins absolutistes, mais, je m'interroge. bjork_2007_Inez_Vinoodh_03Pourquoi une œuvre musicale devrait-elle accrocher, d’ailleurs accrocher quoi ? L'oreille ? L'imagination ? La libido ? Pourquoi un artiste ambitieux devrait-il s'engager totalement dans la création, le développement, l'élargissement et l'approfondissement, jusqu'à toucher de ses doigts de fée la justesse, c'est à dire l'exacte adéquation de la plénitude de l'œuvre et de la plénitude du désir artistique, recherchant dans la fébrilité cette œuvre-là, pendant plusieurs mois, parfois plus, jusqu'à en faire un objet absolument poli, dans l'arbitraire de son polissage d'artiste, pour que ses auditeurs conçoivent au premier coup d'oreille, ou d'œil un jugement de type binaire (J'aime. J'aime pas) comme on le ferait du cul d'une fille qui marche rapidement dans la rue (Je siffle ? Je siffle pas ?). La fille a mis, au plus, une demi heure pour mettre en valeur ce cul qu'elle détenait probablement depuis une lurette prolongée, sans effort réel de sa part sinon réduire la dose de chocolat – et encore, j'en connais qui bouffent comme des salopes et ne grossissent jamais, c’est une honte. Quand le mec a quatre secondes pour décider ou non de siffler cette préparation culinaire de moins d'une demi-heure, ça me semble bien proportionné. Décider en un quart d'heure que le nouveau Björk est un petit crû (car avouons-le un quart d'heure suffit souvent, voire moins, pour juger d'une œuvre musicale, Je connais même quelqu'un qui achète compulsivement des CD qu'il ne connaît pas et se borne à écouter quelques secondes de chaque morceau, peut-être même pas tous, pour dire J'aime, J'aime pas, Bravo pour ce goût si sûr), revient à réduire la Ixème de Beethoven à l’ensemble des notes qui la composent.

jean_paul_goude_1Mais si nous cessions le zapping des choses de la vie, comme s'il s'agissait des choses de TF2 ou FR1 ? Si nous acceptions d'être un peu lents, ce qui est un grave défaut à l'école, ce qui est une faute sans issue au bureau, et retournions à une conception du temps comme durée utile. Un peu lent, comme on le dit d'un attardé mental. Si nous tentions, pourquoi pas, l'extrême lenteur, comme marque d'identification et de reconnaissance des pèlerins d'une nouvelle église païenne, affirmons que le moyen le plus rapide pour découvrir est de prendre son temps. Et on chante alors avec Charles Trenet qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix, qu'est-ce qu'on y voit quand elle est fermé-e ? Bien prononcer le -e.

Ce goût du public pour la découverte expresse (fast earing) n'a rien de particulier à la musique, ni rien de jean_paul_goude_3spontané. Enfonçons allègrement une porte ouverte pour évoquer la civilisation du zapping. Bret Easton Ellis nous montre, dans une écriture elle-même trop speedée et furieuse pour être totalement intelligible, des marionnettes animées par d'urgents besoins de défonce, de sexe et de changements de braquet désordonnés. De quoi se casser la gueule très vite avec dans la bouche le goût des cendres de ce qui s'est consumé avant d'être.

Cette assimilation/consommation rapide est le tempo du politique, en particulier du politique de droite : bjork_2007_Inez_Vinoodh_04donnez l'impression d'en vouloir, de décider plus vite que l'ombre de votre majeur levé, prononcez des phrases assassines mais courtes et vous serez élu(e). Pire pour nous, vous serez sanctifié(e), vos défauts, des plus grotesques aux plus obscènes, prendront le nom d'efficacité. J'admets que la vitesse n'est pas seule en cause, mais quand on sait que la mémoire  des événements politiques ne dépasse pas trois à quatre semaines, on s'étonne moins de l'incessant empilage des épisodes d'une campagne électorale. Mais la politique n’est pas vraiment le sujet de ce papier, même si sa pipolisation galopante nous amène à inverser la proposition des années marxistes (« Tout est politique ») en « Tout est bizness ».

Le zapping est le rythme de la télé, des journaux, mais aussi de l'approche purement consumériste de la chanson. La nouvelle star devient l'ancienne le temps de prononcer son nom. Seul ce jeune chanteur illusoire, Grégory, mais mort dans la réalité, peut se permettre de s'installer dans une certaine durée : l'exacte durée déterminée par les publicitaires payés pour la valorisation financière de sa tragédie personnelle.

La consommation impatiente répond à une volonté du bizness d'organiser une rotation rapide des produits. Entre autres perversités induites, il devient difficile de se procurer un produit artistique ayant plus de bjork_2007_jools__48_quelques mois (et beaucoup moins dans la plupart des cas). Même les 300 derniers Were_only_in_itdisquaires indépendants qui souhaitent promouvoir des œuvres personnelles sont tenus de faire de la place aux éjaculateurs précoces de la vente et la découverte, chez un disquaire d'Auray, de We're only in it for the money (titre prophétique de Frank Zappa and the Mothers of Invention), ainsi que Joe's Garage et Hot Rats (des mêmes) m'a fait l'effet d'une fleur de poésie sur la dalle glacée de La Défense. Une autre forme de perversité induite par un rythme non adapté conduit les artistes à se répéter, ce qui est une des plaies de la scène actuelle. Quand Sardou, de disque d'or en disque de platine nous refait le coup du je suis pour, voilà ce dont on se branle en baillant, sans même y penser. Mais si un jour, Björk nous ressortait Vespertine ou Bachelor, c'est nous, avec notre besoin imbécile de connaître avant de découvrir, qui serions meurtris par cette mauvaise surprise.

jean_paul_goude_2Evidemment, ce système du grossièrement-fait-vite-oublié permet de nettoyer nos oreilles délicates du crottin prétentieux laissé par des Trissotin anacoustiques et c'est un avantage de voir déserter si vite les théâtres nauséeux où se vautraient ces vocalisantes incontinentes et ces gargouilles sonores. Mais, tant l'encombrement des bacs exige du débutant des cautions anartistiques, tout ceci  nous prive des jeunes et moins jeunes créateurs, obligés de rester terrés dans leur marginalité. On en rencontre parfois, au hasard d'un concert en province ou d'une première partie à Paris et c'est l'or liquide du talent neuf qui nous coule dans la gorge.

Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix, qu'est-ce qu'on y voit quand elle est ouverte ? On a pas le temps d'y voir, on la croque et puis bonsoir, on a pas le temps d'y voir, on la croque et puis bonsoir… les découver-tes (bien prononcer le -e).

Alors, c'est vrai que le nouveau Björk n'est pas facile d'accès, disons surprenant pour qui a adoré Vespertine et Medulla, mais la moindre des choses pour une créatrice de sa dimension est qu'on lui donne sa chance. Comme à Camille qui défend Britten dans quelques églises ou Florent Marchet qui ose chanter un western citadin d'aujourd'hui. En leur laissant le temps, tout le temps, de nous séduire.

Ecrit à Lamgonbrac'h.



(Ceci n'est pas un article sur Björk ou sur Volta)
Publicité
Commentaires
Les petits pavés
  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité