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Les petits pavés
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8 octobre 2012

Une chanson de septembre. Ciné-nostalgie

Education sentimentale de M Cravenne

Je pensais à ce passage de L'éducation sentimentale, dans lequel Flaubert réunit à nouveau Frédéric Moreau et son ami Deslauriers, après une  séparation de plusieurs années. Celui qui avait rêvé les femmes et celui qui avait rêvé le pouvoir  évoquent évidemment leur passé commun et raniment des souvenirs d'enfance et d'adolescence. En particulier, leur équipée sans gloire "chez La Turque", le bordel local, ce lieu de perdition, d'autant plus tentateur pour eux qu'ils étaient alors bien trop jeunes pour avoir à y faire . « — C’est là ce que nous avons eu de meilleur ! dit Frédéric. — Oui, peut-être bien ? dit Deslauriers. C’est là ce que nous avons eu de meilleur ! »
(L'illustration est une image de la version de Marcel Cravenne de L'éducation sentimentale pour la télévision, avec Jean-Pierre Léaud et, ici, Catherine Rouvel).

Il y a dans ce fragment quelque chose qui m'a toujours beaucoup touché, même lorsque j'étais encore très jeune. Il est vrai que le souvenir s'attache, sentimentalement, à la ténuité de certains événements plutôt qu'à la gloire (ou prétendue telle) d'autres faits. Je suis volontiers nostalgique et capable de me laisser capturer par une certaine suave et douceâtre mélancolie.
Les meilleurs films vus depuis depuis septembre (excepté le puissant Captive de Brillante Mendoza avec Isabelle Huppert, actrice qu'on ne saurait conjuguer qu'au plus que parfait) véhiculent un sentiment mêlé de nostalgie et de mélancolie. C'est le cas du merveilleux Camille redouble dans lequel Noémie Lvovski retourne à un elle-même ancien qui lui fera mieux accepter l'âpreté du présent. J'en ai déjà parlé dans un précédent billet.
Et c'est vrai qu'en cette rentrée de météo maussade, le cinéma (le très bon cinéma, en fait le meilleur) cultive l'âge, l'expérience, le gouffre des années passées.
Une petite chanson pour nous accompagner le long de ce petit chemin de rentrée à goût de nostalgie. Elle n'est pas très connue, elle ne vise aucune distinction et pourrait même ne pas rester comme une incrustation de ce qui fut dans nos mémoires ou les votres. C'est Brigitte Fontaine et Areski, ça s'appelle 6 septembre, allez savoir pourquoi.

Vous n-avez encore rien vu

Il nous est donné, par exemple, de voir ou revoir des acteurs aimés depuis longtemps, voire de plus en plus, comme Michel Piccoli dont la bienveillante mais fragile blancheur est un des bonheurs de Vous n'avez encore rien vu, le merveilleux nouveau film d'Alain Resnais, qui amène une poignée d'acteurs à jouer à nouveau un des rôles de leur vie. Marre de dire ou de lire que Resnais est resté un jeune homme malicieux. Resnais est un grand cinéaste singulier qui livre régulièrement de grands films ne ressemblant à rien d'autre qu'eux-mêmes et repoussant avec une régularité horlogère les limites de ce qu'il semblait possible et convenable de filmer. Quatre-vingt dix années après sa naissance, ce cinéaste transcourants, qui a déchiffré avec bonheur à peu près tous les genres du cinématographe (y compris le mélodrame, la comédie musicale et la science fiction, mais ni le western, ni le porno, l'universalité ayant certaines limites) et en a inventé d'autres, ne déçoit pas. A travers des mises en abymes multiples, qui traversent l'espace et le temps en un lieu unique démultiplié par l'imagination, on ne sait plus si c'est l'intelligence du dispositif qui véhicule une émotion sans complaisance ou l'inverse, l'émotion comme véhicule de l'intelligence.

Gebo et l'ombre

On peut en dire autant, dans un registre assez différent, de Manoel de Oliveira qui, aîné de Resnais, nous offre un cinéma moins mobile mais tout aussi passionnant, si on veut bien se passionner pour la recherche de nouvelles formes cinématographiques. Gebo et l'ombre, comme Vous n'avez encore rien vu, est l'adaptation d'une pièce de théâtre un peu ancienne, un peu convenue, mais qui donne au réalisateur une nouvelle occasion d'approfondir une vertigineuse réflexion sur son art. Comme Resnais, de Oliveira s'appuie sur des acteurs "confirmés", ici l'immense Michael Lonsdale qui confère une humanité impressionnante à son personnage de comptable un peu trop rigoureux, un peu trop sage, à travers un jeu sans effet, sans recyclage de figures de style, sobrement inventif et au service de son rôle. Et c'est pour la bonne cause que son personnage ment éhontément à sa femme, interprêtée par Claudia Cardinale qui, plus jeune, avait illuminé certains des plus beaux films de Fellini (Huit et demi), de Visconti (Rocco et ses frères, Le guépard, Violence et passion), de Sergio Leone (Il était une fois dans l'Ouest) et tant d'autres. Pour faire bonne mesure, Jeanne Moreau passe dans leur modeste deux-pièces prendre le café et bavarder, voire cancaner un peu.

Encore deux films, deux univers, deux bonheurs.

Billy Liar

Le premier a été pour moi une sorte de retour aux sources, à l'époque de mes premiers élans vers le cinéma. En effet, une de mes premières ciné-passions "adultes" m'est venue de jeunes réalisateurs anglais qui, avant ou concomitamment à la Nouvelle vague française, ont secoué le conformisme ambiant, et il faut bien admettre que dans l'Angleterre gourmée de Harold Mac Millan, il y avait de quoi secouer en matière de conformisme constipé. Les jeunes gens de la bienheureuse reconstruction, pas encore teenagers, traînaient leur ennui poisseux en attendant que les Beatles brisent le cadenas du coffret à modernité.
Des cinéastes comme Tony Richardson, Karel Reisz, Lindsey Anderson apparaissent avec des films aussi forts, toniques et différents que A taste of honey (Un goût de miel), Saturday night and sunday morning (Samedi soir, dimanche matin) ou This sporting life (curieusement titré en français Le prix d'un homme). Très vite  on va parler à propos de ces jeunes réalisateurs de Jeunes cinéastes en colère, 
en référence au courant littéraire porté notamment par John Osborn (Look back in anger, porté à l'écran par Tony Richardson) et Alan Sillitoe (The loneliness of the long distance runner, porté à l'écran par le même Tony Richardson), courant auquel ne fut pas étranger le jeune Harold Pinter.
Outre un regard nouveau sur les réalités sociales, politiques et culturelles du Royaume Uni qui allaient précipiter celui-ci dans une remise en question radicale, ce nouveau cinéma a imposé la déferlante d'une nouvelle génération d'acteurs et d'actrices de talent qui, le cinéma anglais étant ce qu'il est, n'allaient pas tous recevoir la reconnaissance publique qu'ils ou elles auraient mérité. Qui se souvient vraiment d'Albert Finney (Saturday night and sunday morning et Tom Jones), de Rita Tushingham (A taste of honey et The Knack and how to get it), de Julie Christie (Darling, puis Fahrenheit 451 avec François Truffaut, avant Le Docteur Jivago, très éloigné des jeunes cinéastes en colère et de la Nouvelle vague) ? Et qui se souvient du merveilleux Tom Courtenay ?
Tom Courtenay, qui peut être (re)découvert ces jours-ci au précieux Champo de la rue Champollion à Paris, en Billy Liar, un de ses rôles les plus attachants, à l'occasion de la très pertinente trilogie John Shlesinger. Le pitch du film : Billy, entre une famille étouffante, un boulot trop stupide et des petites amies consternantes se construit un monde imaginaire dont il est le valeureux héros absolument charismatique. Ce film tour à tour caustique et drôle, amer et tendre m'avait fasciné à un âge où, moi-même, l'idée d'être le anti-héros de ma propre médiocrité me poussait à tous les refus, notamment celui d'une réalité trop peu aimable. Je l'ai retrouvé la semaine dernière comme un souvenir involontaire de moi-même, comme un frère rosbeef d'Antoine Doinel dans son refus de s'engager, de décider de sa vie, avec un grand bonheur nostalgique et donc une grande mélancolie.
Du même Shlesinger (celui qui, à Hollywood, nous donnera le très beau Macadam Cowboy), on peut voir au Champo Darling avec Julie Christie (dont j'étais, à l'époque, follement amoureux) qui apparait dans Billy Liar comme un rayon de soleil et A Kind of Loving avec Alan Bates.
Tom Courtenay et Alan Bates, acteurs roturiers des grises premières années 60 anglaises ont été annoblis, depuis, par la Queen Beth. Vive la Queen.

Damsells in

Dernier film de cette balade en nostalgie et vraie surprise de cette rentrée, Damsels in distress de Whit Stillman, réalisateur culte, ai-je lu, que je ne connaissais pas et qui n'avait plus tourné depuis 13 ans. Très réactif au mot "culte", dont je ne retiens que quelques lettres, je m'apprêtais à détester. En fait de détestation, je me suis enfoui dans une douce torpeur moite et tiède pendant 1h40, savourant niaisement un plaisir inattendu et très doux, jusqu'à nier la réalité du générique de fin (je voulais encore de ce film, j'en voulais plus, aucune raison raisonnable ne pouvait justifier que tout s'arrêtât ; je faisais un déni de fin de film, tout comme le roi de Ionesco, celui qui se meurt, faisait un déni de fin de vie ; d'ailleurs, fin de film, fin de vie, ça se ressemble pour qui vit réellement le cinéma).
Je serais bien en peine de justifier mon gros penchant pour ces damoiselles en détresse, film léger, verbeux et parfois didactique, qui évoluent en raisonnant parmi les pelouses et parterres (ne cherchez aucun mot-valise) d'un campus newyorkais élégant où s'opposent les fraternités grecques et latines. Le tout pourrait être insipide comme une photo de cupcake, mais il vous prend par le coeur, force vos ailes à se déployer et vous lancent vers le bleu du ciel sur les harmonies d'un standard de Fred Astaire (Things are coming up des frères Gershwyn).
Sans qu'on y prenne garde, le chemin pavé de bonnes intentions du quarteron de jeunes filles de bonne famille animant le Centre de prévention du suicide en offrant des donuts et du café aux damoiselles et damoiseaux en détresse, chemin semé de roses et de savonettes nous conduit, le nez au vent (les odeurs sont dans ce film des marqueurs, non seulement du bon goût, mais aussi du bien vivre) vers une sorte de Pays du sourire, de Mélodie du bonheur où tout le monde danse et chante et dit I love you. Comme je l'ai lu quelque part (était-ce dans Libé ?), ce film cultive la nostalgie de ce qui n'a pas été, j'aime bien cette idée.

Voici la bande annonce :

Voici terminée ma balade ciné aux couleurs douces de la nostalgie et de la mélancolie. Et bientôt, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva dans Amour de Michel Haeneke. Bons films, bonne vie et cultivez vos souvenirs.

 


Rien à voir,
mais à voir.

Le cinéma de Manoel de Oliveira ou le principe de l'incertitude.


Conférence de Mathias Lavin
Jeudi 27 Septembre 2012 à la Cinémathèque française
dans le cadre de la rétrospective Manœl de Oliveira
(depuis le 6 septembre et jusqu'au 22 octobre)

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Commentaires
E
Une réponse qui me fait sourire tendrement et rire bien sincèrement.<br /> <br /> De ça aussi, j'en redemande.<br /> <br /> <br /> <br /> PS : j'en profite pour ajouter une des choses oubliées dans mon commentaire matinal (il y en aurait bien d'autres). Non seulement ton billet est agréable à lire et plein de bon sens (d'amour pour le cinéma, sans doute), mais aussi de pertinence car le thème de la nostalgie traversant ces films de la rentrée, il fallait tout de même le mettre au jour et en faire quelque chose, ce que tu as fait, très bien. <br /> <br /> <br /> <br /> A très vite pour tous ces jolis projets.
M
Comme tout cela est codé, ou : comme le hors-champ envahit l'écran. Tu as le souvenir d'Albert Finney. Baignant dans la lumière rose, tu te souviens et tu en redemandes et, un peu las, un peu assoupi après un repas généreux, on se prend à se demander de quoi il s'agit. Ce soir, dis-tu, en effet, pourquoi ne pas replonger dans ce noir et blanc britannique un peu froid et courir après Tom Courtenay, qu'il fut si agréable de redécouvrir près de toi, ce dimanche-là. S'il fait trop froid à Nottingham, nous nous serrerons dans une couverture et nous lirons Wikipedia qui, à propos du film (La solitude du coureur de fond, donc), reproduit longuement un extrait de Jean-Louis Bory. Ancien du Masque, il n'aurait pas laissé dire sans réagir ce que nous avons entendu hier soir. Il se serait rebellé contre le conformisme ronflant de ces gens qui parlent cinéma avec le son de la télévision et pour qui le comble du spectateur est l'ennui, nouveau mal du siècle. Ben oui et rêvons un instant que J. L. Bory ait eu une descendance (spirituelle, bien sûr). Je rêve d'un jeune X. L. Bory (X comme Xorro) gravant sa trace sur le ventre mou de la critique de France inter le dimanche soir, et Xé le monsieur du Figarama et Xé le monsieur de Télérama et nous entendons dans le poste le jeune X. L. héler son cheval noir et partir dans la nuit noire aussi au cri de "L'ennui, ça se mérite". Rires dans la salle (par principe).<br /> <br /> Merci de m'avoir visité et commenté et mis un peu de soleil dans cette journée.
E
Je ne regrette pas les mots laissés ici la semaine dernière tant il est agréable de commencer celle-ci avec un nouveau billet de toi, sur et pour le cinéma (je dirais même plus : sur et pour le bon cinéma ; d'autres se chargent déjà de dire du mal des daubes annoncées, inutilement).<br /> <br /> <br /> <br /> Cette rentrée 2012 serait nostalgique comme 2011 avait été mélancolique ; la fin du monde semble en effet avoir cédé sa place aux bidouillages horlogers et aux voyages dans les temps. Ceux-ci s'améliorent donc puisqu'une douce nostalgie vaut toujours mieux qu'une profonde mélancolie : le "Mal du siècle" selon Musset et, avant lui, Chateaubriand, le "Spleen" baudelairien qui flirte avec la "Nausée" de Sartre sur "Les Cimes du désespoir" de Cioran,.... Un p'tit rappel des fondamentaux nous souffle que la Melancholia, aussi galvaudée soit-elle, c'est quand même du lourd.<br /> <br /> <br /> <br /> Donc tout va mieux. Et même s'il nous venait encore une petite envie de suicide, grâce à toi, on sait désormais que de pimpantes Demoiselles nous attendent quelque part avec un donut, un bon café et du savon-sent bon salvateurs. <br /> <br /> <br /> <br /> Alors, oui, la nostalgie s'est installée sur grand écran ces dernières semaines qui nous font aller d'heureuse (re)découverte en excellente surprise. Il est bon de lire ton enthousiasme après avoir partagé ton plaisir de spectateur. Tu n'imagines pas comme cela me fait plaisir et espérer que d'autres trésors nous accompagnent jusqu'aux derniers jours de cette année. Le programme s'annonce d'ailleurs prometteur : tu nous parles d'"Amour" mais quelques virées du côté de la Cinémathèque ne manqueront sans doute pas de combler ton coeur de souvenirs forcément nostalgiques.<br /> <br /> <br /> <br /> J'aime beaucoup tout le passage à propos du cinéma anglais (découvert grâce à toi, comme tant de choses). "Billy le menteur", quel film exquis ! Tiens, j'en ris encore. J'espère d'ailleurs très fort que quelques soirées prochaines pourront être consacrées à la rencontre d'autres films, réalisateurs et acteurs que tu cites ici. <br /> <br /> Ce soir ?<br /> <br /> Ah, juste une chose "Qui se souvient d'Albert Finney ? " écris-tu. Le papa dans "Big Fish" ? Dans "Annie" ? Et surtout le Monsieur Wallace (ça s'invente pas), d'Audrey Hepburn, dans "Voyage à deux" ? Moi je m'en souviens et j'en redemande.<br /> <br /> <br /> <br /> Je resterais bien quelques heures de plus avec toi, dans cette chambre baignée de lumière rose tandis que la pluie bat les carreaux ; ce serait bien agréable, sais-tu, de t'écrire encore des pensées décousues et sans grand intérêt. Mais mes devoirs m'appellent alors... <br /> <br /> <br /> <br /> Baiserama.
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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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