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Les petits pavés
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13 mars 2011

Dans la Nuit de la Hammer, les vampyres, l'Apocalypse et Nous

Lu ce matin sur Facebook, en provenance du Japon : "Putain apparement le réacteur a fission nucléaire est en train de fondre et on risque de se prendre une pluie radioactive XD c'est tellement la fin du monde que j'ai envie d'en rire..."

Rions donc, si c'est tellement la fin du monde, quoi faire d'autre, en effet. Et je connais un antidote radical contre les peurs qui font rire tellement le monde est devenu irréel à force de ne plus nous ressembler. C'est se replonger dans les peurs réelles du feu nucléaire, dans la bonne époque de la Guerre Froide qui a tellement inspiré, outre les historiens et éditorialistes, les écrivains et les cinéastes.

Fin des années 50, l'Angleterre tire la bête sub-dormante de ses rêves millénaires : Vampyre, Créature, Momie, Loup-Garou, Morts-vivants, personnes étranges comme ce Dr Jekill qui se transforme en Sister Hyde à la suite d'une manipulation inadéquate. En 1956, la Hammer Films, qui a produit quelques nanars avant-guerre (dont un avec Bela Lugosi, tout de même) renait de ses cendres dispersées, comme le souvenir d'une Goule. Cet accident nucléaire possible, au Japon (qui en fait m'angoisse terriblement, comme un Dr Frankenstein qui aurait un peu trop joué avec ses créatures) m'offre l'occasion de glisser un doigt dans la mécanique du souvenir.

Les films de Terence Fisher, de Roy Ward Baker, de John Gilling (mais de Terence Fisher le plus souvent et pour les mieux fabriqués) que produit La Hammer Films à partir de 1956 et que le Musée d'Orsay a la riche idée d'exhumer jusqu'au 27 mars, n'étaient-ils pas, en effet, un efficace antidote contre les peurs devenues séculaires en ce milieu du siècle le plus sanglant de l'Histoire (à l'exception du XXIème ?), peurs qui vont donner des films hantés comme La bombe de Peter Watkins, Docteur Folamour de Kubrick (film que je n'ai jamais appécié, je ne sais pourquoi), Je suis une légende (je veux parler de la version de 1964 avec Vincent Price et celle de 1972, avec Charlton Heston).

Aff_Nuit_Hammer

Le Prince des Ténèbres est en ville

Face à la terreur rampante qui fait qu'aux Etats, on achète plus d'abri anti-atomique qui ressemblent à de gros réfrigérateurs que de résidences secondaires, la résurrection des créatures gothiques malades de Bram Stocker, Sheridan Le Fanu, Mary Shelley par les réalisateurs, techniciens et acteurs appointés par La Hammer, fait un peu désactivation de la peur, à la façon d'un vaccin qui inoccule un mal devenu placide pour mieux le démembrer. La peur qui nous prend devant Christopher Lee jouant à Dracula en roulant des yeux rouges de haine, toutes les dents en avant, me semble une peur apprivoisée, voire légèrement amusée, qui a pu aider nos aînés à supporter une peur plus glaçante, il y a 40 à 55 ans.

Simon_OakesVendredi soir, en présence de Simon Oakes, nouveau CEO de la Hammer, séduisant et pratiquant un humour et une francophilie fort agréables (photo ci-contre), le cycle Dans les Nuits de la Hammer était lancé à Orsay avec Le (légendaire) cauchemar de Dracula (1958), peut-être pas le plus réussi des films de la série, mais sans doute le plus emblématique, ne serait-ce qu'en raison de la présence du trio Terence Fisher-Christopher Lee- Peter Cushing, qui incarnent tous les trois l'univers Hammer, mais rarement ensemble.

Et c'est dans un auditorium noir de monde qu'a commencé la séance, dans le respect de la tradition artisanale du genre (deux faux départs avec rallumage de la lumière sous les applaudissements d'un public très excité) avec une copie "acceptable" comme l'a dit le monsieur du Musée, mais espagnole, avec sous-titres en espagnol dans le cadre de l'image, doublés par des sous-titres français juste sous le cadre de l'image. C'était d'ailleurs parfois assez drôle de comparer les trois versions (dialogues en anglais et leurs deux traductions, approximatives).

Pour moi, laDrac_sourit nostalgie a joué à plein. Je voyais ce genre de films au Midi-Minuit, avant qu'il soit transformé en salle porno pour, finalement, disparaître comme tant de salles de quartier, à Paris ou ailleurs. Christopher en fait beaucoup pour faire peur, Cushing n'en fait pas moins en professeur Van Helsing qui en sait des choses, mais ne dira rien pour ne pas effrayer ses contemporains. Tout ça est parfois fort théâtral et les décors semblent fort peints, mais il se dégage de l'ensemble une sorte d'innocence du genre.
Les aspects sexuels sont traités de manière pudibonde et intéressante. On ne voit rien, mais quand on connait un peu la vie, on se dit que, malgré les efforts du scénario pour tirer tout ça vers la morale catholique, on se rend compte que le Comte et ses faibles victimes étaient manifestement très portés sur la chose. La violence est sublimée, la cape noire de Drac est pratique pour dissimuler tant ses cochonneries priapiques que ses cuites au sang frais de jeune vierge.

Très vite, le public s'est partagé entre celles et ceux qui étaient venus pour tomber sous le charme du beau suceur et celles et ceux qui, plus vulgairement, étaient venus manifester par des rires bruyants à la sonorité quelque peu martiale leur proximité intellectuelle avec les codes du genre et leur distanciation par rapport à une théâtralité un peu outragée. Je n'ai pas du tout apprécié ces manifestations de snobisme appuyé. La Hammer a encore des choses à nous dire, notamment qu'une certaine poésie vaut mieux qu'une précision chirurgicale dans le traitement de l'horreur et ceci doit être respecté, d'autant plus que le séance était unique, exceptionnelle. Les films de la Hammer ont, certes, pillé le fond d'Universal (les films de Tod Browning ou James Whale d'avant-guerre, en particulier Dracula du premier et Le fils de Frankenstein, suivi de la Fiancée d'icelui, du second, extrèmement réussis dans une touche poétique qui donnait sa chance de rédemption au méchant -- qui ne faisait pas exprès d'être méchant, vous savez, il était lui aussi une victime), refaisant avec les moyens techniques de 1958/1975 et par ailleurs peu d'argent, les films de leurs aînés. Mais sans ridicule, avec un sens du détail qui est une des marques de fabrique du studio et, au final, une cohérence qui attise aujourd'hui la curiosité devant tous ces films à (re)découvrir à Orsay.

Je n'aime pas le regard distancié des cinéphiles sur ce cinéma authentiquement populaire et destiné à faire plaisir au public de l'époque, en lui faisant dépasser ses terreurs quotidiennes, par des peurs de théâtre.

Pendant ce temps, au Japon, de Tsunami en accident nucléaire prévisible, l'Apocalypse s'installait.

Dans la Nuit de la Hammer
sur le site du Musée d'Orsay 

Histoire de vous faire envie, si vous en avez envie, une affiche de film qui n'a rien à voir avec la Hammer, qui ne court pas les couloirs du métro, mais qui me donne des envies de cinéma, on dirait du Jarmush jeune ; c'est un film de François-Jacques Ossang, cinéaste surprenant :

Dharma

Bonne fin ou début de semaine.

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Commentaires
M
Emma, mon reflet n'est pas perdu pour tout le monde. ce qui me fait plaisir, c'est que tu centres ton commentaire sur un élément accessoire du billet, mais auquel je tenais beaucoup. A tort ou à raison, les films d'Ossang m'évoquent des expériences rock poétiques ou oniriques comme le film d'Ostria ou Violant days. J'essayerai de le voir un soir, en quittant le boulot. J'aime ta phrase "A vrai dire, je ne sais toujours pas quoi penser du résultat dans son ensemble (mais est-ce vraiment nécessaire et attendu ?" Il me semble parfois inutile de savoir quoi penser, quand on sait qu'on a ressenti quelque chose, d'inconnu, de nouveau, rappelle-toi la 1ère vision de Mulholland Drive. Qui peut dire qu'il a tout compris à la première vision. En revanche, celui qui n'a pas été séduit est perdu. Nous sommes plusieurs ici à penser qu'il n'est pas indispensable de comprendre pour aimer, ni de savoir pourquoi on est séduit. Mulholland Drive et Lost Highway. 2001 a space odyssey et sait-on pourquoi on aime un film qui nous malmène comme Black Swan ?<br /> Bienvenue, en tous cas parmi les fans de la Hammer, d'un cinéma qui nous montre le cauchemar d'un vampire pour nous détourner des nôtres. Un cinéma authentiquement populaire, qui ne méprise jamais son public et va au devant de ses désirs, sans autre compromission que des conditions économiques de production parfois acrobatiques.<br /> Bises, à bientôt sur la toile ou devant une autre toile.
E
Je peux commencer par la fin et dire quelques mots du film d'Ossang ? <br /> S'il est pour toi un cinéaste surprenant, c'est par sa musique que je le connais réellement, à travers son groupe Messagero Killer Boy (MKB, pour parler acronymement), dont j'écoute l'album "Docteur Chance" en ce moment même. J'ai vu "Dharma Guns" par curiosité, séduite, comme toi, par l'affiche mais surtout par la bande-annonce et excitée par la promesse d'un film à la bande-son soignée (The Cramps, The Eighties Matchbox, entre autres emprunts, Jack Belsen des MKB pour le reste). A vrai dire, je ne sais toujours pas quoi penser du résultat dans son ensemble (mais est-ce vraiment nécessaire et attendu ?), je me sais juste profondément marquée par certaines scènes et riche de cette agréable impression d'avoir traversé une nouvelle expérience cinématographique. Le périple hypnotique et fascinant que propose "Dharma Guns" ne se refuse pas : il s'agit, à n'en pas douter, d'une oeuvre inclassable, à l'image du réalisateur dont la voix résonne dans ma chambre "On n'arrête pas un homme qui porte le suicide à la boutonnière". Tout ça sent l'Apocalypse à plein nez.<br /> <br /> De la fin du monde selon Ossang à la renaissance de la Hammer, il n'y a qu'un pas. J'ai aimé (re)vivre la soirée de vendredi à travers ton regard et saisir au vol quelques grammes de ton savoir. Cette rétrospective à Orsay est une véritable aubaine, un de ces événements culturels parisiens qui m'apparaissent comme des moments privilégiés dont il faut savoir profiter et qui, en prime, savent apaiser, pour un temps, une inconvenante envie d'un dernier jour sur Terre. Poétique, toujours.<br /> <br /> "Savoir finir, c'est tout ce qui compte" selon F.J. Il serait donc sage que je résiste à mon envie d'ajouter quelques lignes à ce commentaire (je cracherais bien un peu de venin sur les insupportables spectateurs qui ne peuvent s'empêcher de faire les malins au risque de saboter leur propre plaisir), que je m'arrête ici, non sans te souhaiter un très bon début de semaine.<br /> <br /> PS : drôle d'histoire que celle de ton reflet perdu.
M
Je vous invite à méditer sur quelque chose assez étrange. J'ai pris la photo (Librairie anciennement Julliard, Bd St Germain) qui montre l'affiche dans un environnement livresque, mais surtout avec le reflet du Boulevard. J'étais devant la vitrine, or je ne suis pas sur la photo... Les familiers des vampires apprécieront, j'imagine. Putain, quelqu'un a un piquet et un marteau, pour le cas où ?
M
Merci d'avoir lu et analysé aussi précisément ce post, qui me posait des problèmes de cohérence. L'analyse des films Hammer m'est vraiment venue de cette phrase sur Facebook, une copine d'une personne proche qui est actuellement à Tokyo confrontée à une véritable angoisse. Et je me suis véritablement interrogé sur, non pas la pertinence, mais l'acceptabilité du lien entre le monde de la mort fantaisiste représenté par la Hammer et le monde qui nous entoure, meurtri par un cataclysme naturel et menacé, soyons clair, de disparition si le pire de la nature veut s'allier au pire de la culture.<br /> Barbara, j'ignore si tu me lis, mais je pense fort à toi et, de très loin je sais, il me semble que tu devrais t'éloigner de Tokyo.<br /> Pour FB, franchement, je me fous du caractère débile ou pas de ce qui est posté. Je constate que FB a été une arme de guerre pour la démocratie récemment. Que, quand le téléphone ne fonctionne plus, FB est un moyen de rester en contact. Et lire les propos un peu débiles, surtout très distanciés de sa petite nièce sur FB est très rassurant.<br /> Désolé pour le ton un peu grave de cette réponse, mais qui correspond à mon état d'esprit ce soir.
A
La rétrospective Hammer, bien que je sois plutôt inculte, m'attirait et cette soirée en particulier. J'ai en horreur les films d'horreur justement, mais les films d'horreurs de ces 25 dernières années et il ne m'aurait pas déplu de vérifier que le frisson Hammer m'était agréable comme je le crois. Mais à la place, j'étais dans le train, sans vampires dieu merci, vu l'heure, mais également dans la totale ignorance du cataclysme qui venait de frapper le Japon. Du coup c'est avec intérêt que j'ai lu ton article.<br /> Je ne saurais à quel point angoisses dues à la guerre froide et engouement pour les films de la Hammer sont liés, mais l'association d'idées me semble intéressante et pas illogique. <br /> Tu parles d'un nouveau traitement de l'horreur, sans surenchère, des aspects sexuels abordés de manière détournée mais évidents. N'était-ce pas aussi, dans les années 50 et 60, une façon de se jouer de la bienséance moral(isatric)e ? Quant à la galerie de monstres, véritable tératologie quand on fait le compte des personnages ressuscités par la Hammer, peut-être ont-ils été accueillis aussi favorablement parce que les peurs qu'ils généraient étaient un bon exutoire, et peut-être aussi parce qu'ils permettaient justement de briser le cadre de cette normalité morale. <br /> Tu parles de ta découverte de ces films au Midi-Minuit et j'ai souri car l'article de Telerama, que j'avais lu sur le sujet, faisait également référence à ce cinéma, avec la même pointe de nostalgie, l'associant aux cinéphiles français découvrant avec bonheur ce nouveau genre. Donc Telerama parlait de toi ! J'imagine fort bien qu'à cette époque, en France, ces films ont dû ouvrir de nouvelles fenêtres cinématographiques pour les amateurs de cinéma.<br /> As-tu feuilleté le livre de Nicolas Stanzick, "Dans les griffes de la Hammer" ? Il donne d'ailleurs une conférence dans le cadre de cette rétrospective samedi prochain à Orsay, mais tu le sais déjà sans doute.<br /> Merci en tout cas pour cet article, ta lecture de la rétrospective en général et de cette soirée en particulier m'a plu. Et je comprends ton énervement face aux réactions d'une partie du public qui oublie, dans ces cas-là, qu'il est spectateur, et non spectacle...<br /> J'ai certainement dit plein de bêtises, mais je jure que je ne fais pas exprès :D. S'il y en a trop, tu as le droit de supprimer ce com, et comme le ridicule ne tue pas, j'envoie quand même.<br /> A te lire de nouveau bientôt,<br /> Bise<br /> Anne-Laure<br /> <br /> PS : Pour en revenir aux monstres et aux dangers nucléaires, je suis assez horrifiée par les remarques débiles qui s'échangent sur FB. Mais elles sont le signe que ces peurs (peur des monstres entre autres) sont encore bien présentes.
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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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