La frontière de l'aube
La Frontière de l'aube
film français de Philippe Garrel (2008)
acteurs principaux : Laura Smet, Louis Garrel, Clémentine Poidatz
scénario : Marc Chodolenko, Arlette Langman et Philippe Garrel
directeur photo : Willy Lubtchansky
musique : Jean-Claude Vannier et Didier Lockwood
Il s'est trouvé au Festival de Cannes des professionnels de la professions (invités) pour siffler et huer ce film. Lorsque dans un stade, des spectateurs qui avaient payé leur place ont sifflé une chanson sanglante et guerrière, on en a fait une affaire d'Etat. N'en faisons ici qu'une affaire de cinéma.
Comment dire un film qu'on a aimé... sans en parler ? Montrer ses sentiments par les phrases des autres ? Montrer les images en couleurs et dans un noir et blanc de rupture, frontière entre nuit et jour, frontière de l'Aube ? Michel
"La barre était très haute après Les Amants réguliers (sur mai 68). Mais une fois encore, Garrel sait restituer cet état de « sauvage innocence » qui interdit à ses personnages de transiger avec leurs sentiments. Il nous rappelle que le cinéma n’est pas un anxiolytique light, mais au contraire le lieu de tous les extrêmes, aussi incompatibles soient-ils avec la vie courante" (Louis Guichard, Télérama).
"D'emblée, il y a quelque chose de condamné après le coup de foudre. Une différence entre l'homme et la femme, chez lui le déclic d'un regard, chez elle l'instinct du corps, chez lui la terreur que quelque chose vienne altérer l'harmonie et chez elle le désir d'enfant. On se demande : "Est-ce que tu m'aimeras toujours ?", mais on admet que masculin et féminin sont des amants désaccordés, et on se met à rêver que la rupture soit aussi belle que la rencontre" (Jean-Luc Douin, Le Monde).
"On a beaucoup entendu à Cannes (...) que le film était passéiste, qu'il vivait dans un rêve d'antan, dans une posture aussi morbide qu'anachronique. C'est ne rien comprendre au film, ne pas voir que depuis son autisme, Garrel questionne le réel (...) derrière la tristesse du film, sa profonde neurasthénie, sommeille une rage à la fois naïve et lucide qui voudrait réveiller le spectateur" (Jean-Sébastien Chauvin, Chronic'Art.comChronic'Art.com).
"L'on peut bien penser que c'est pour dire que le cinéma, mise en scène des ombres, est d'abord l'art de donner la vie aux fantômes, que Garrel a fait ce film" (Emile Breton, l'Humanité).
"Garrel investit ici un paradoxe profond : tenant de l'événement lumineux, du visage-paysage, de la durée débridée, il est aussi un grand imagier" (Hervé Aubron, Les cahiers du cinéma).
"Quand on voit pour la première fois La Frontière de l’aube, le nouveau film de Philippe Garrel depuis le somptueux et religieux Les Amants réguliers (2004), on ne peut s’empêcher de penser que les grands cinéastes font revivre par d’autres leur propre passé pour en devenir enfin le spectateur et le critique, pour essayer de trouver une fin, un sens à ce qui dans la vie en a rarement. Que leurs films soient autobiographiques ou non (Laura Smet = Nico ?) n’est pas le vrai sujet. Il est que les situations montrées dans La Frontière de l’aube correspondent en tout état de cause à notre imaginaire garrellien : l’art, la mort, l’amour, le désespoir, les drogues, la trahison.
(...)
Comme si c’était la première fois : c’est bien ainsi qu’il faut regarder cette histoire éternelle où Orphée et Eurydice côtoient les personnages de L’Aurore de Murnau, ceux de Peter Ibbetson d’Henry Hathaway, où les fantasmes et les fantômes ne font qu’un, où la mort est attirante, où l’amour survit par-delà l’oubli. “Pour la première fois” : c’est ainsi qu’il fallait peut-être aussi interpréter les quelques quolibets et sifflets qui accueillirent à notre grande surprise La Frontière de l’aube lors de sa présentation en compétition officielle à Cannes en mai dernier. Comme l’aveu de surprise de “spectateurs professionnels” qui n’auraient jamais vu un film de Garrel de leur vie et qui refuseraient de se rendre à sa simplicité et à sa jeunesse incandescente, de traverser le pont et d’aller à la rencontre de ses fantasmes.
C’est que, peut-être encore, pour passer la frontière de l’aube, il faut connaître et aimer les films muets, aimer les films de Cocteau, de Dreyer, de Godard, aimer le cinéma tout court. Et puis, surtout, il ne faut pas vivre avec le cadavre de sa jeunesse dissimulé dans un placard, comme un mauvais souvenir qu’on refuserait de vouloir achever" (Jean-Baptiste Morain, Les inrockuptibles).
"Il y a une réplique que j'aime beaucoup dans laquelle je dis "qui éclate comme une bulle dans l'air". Eh bien, c'est exactement cela que j'ai l'impression d'être aujourd'hui, une bulle dans l'air, prête à éclater" (Laura Smet, Conférence de presse, Cannes 2008).
La poésie sombre de ce film revenant est posée en équilibre fragile sur la musique de Jean-Claude Vannier, musique d'entre nuit et soleil pâle, interprétée par l'auteur au piano et Didier Lockwood au violon. Louis Garrel confirme qu'il est devenu le jeune anti-héros romantique indispensable au cinéma français d'aujourd'hui, comme Jean-Pierre Léaud le fut naguère. Il manie le rolleiflex comme un objet déconcertant du passé défiant la modernité du film, objet de passage comme Le lys dans la vallée, conduisant Antoine Doinel de la chambrée militaire aux bras de Madame Tabard. Quant à Laura Smet, elle existe avec une présence physique et métaphysique qui fait douter des lois de la paternité. Michel.