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Les petits pavés
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23 avril 2008

Jacques Debronckart

Debronckart5

Pour continuer avec les chansons qui "passaient dans le poste" (plutôt Europe 1 que les chaines nationales gaullistes), quand nous attendions 68, à faire tout seul des taches dans les plumards en feuilletant Lui ou PentHouse (PentHouse était nettement plus avancé dans la précision morphologique de ce qui nous faisait rêver et, pour ma part, avec un romantisme échevelé, je découvrais Vian et Sartre, Godard et le cinéma underground américain, je n'étais plus un ouvrier, déjà un employé, je lisais Rimbaud et Marx, comprenais ni l'un ni l'autre, mais avec cette urgence d'avaler le monde ; je dégustais des tartes aux fraises au Drugstore Opéra, j'allais parfois en Angleterre pour prendre le pouls du monde, je ne partais plus en vacances avec mes parents, j'avais laissé tomber le Lycée Marcellin Berthelot en deuxième (pas en seconde, tout le monde ne le sait pas, mais on ne dit second que lorsque le deuxième est aussi le dernier, par exemple je voyage en seconde classe, parce que dans notre beau pays on a supprimé la troisième classe, mais j'habite au deuxième étage, car j'ai des voisins au-dessus de ma tête) pour faire du rock avec ma guitare électrique Hoffner, la marque de la basse en forme de violon de Paul Mac Cartney, mais mes parents n'avaient pas cette vision généreuse qui aurait consisté à me nourrir, me blanchir et me donner un toit jusqu'à ce que je devienne George Harrisson, au fallacieux prétexte que mon père, facteur (comme Jacques Tati) et ma mère, vendeuse d'"articles parisiens" dans la rue du Temple n'en avaient pas les moyens.

Alors j'ai tout fait pour quitter l'usine métallurgique dont je trouvais l'ambiance trop violente. Moi j'écrivais de la poésie et des chansons, je dessinais, je lisais Vercoquin et le plancton ou Troubles dans les Andains (édition Pauvert, introuvable aujourd'hui). En particulier, je ne supportais pas de travailler 10 heures par jour à 15 ans avec un petit chef merdeux qui lisait Paris-Jour ; je ne supportais pas l'odeur de l'usine métallurgique où je manipulais une machine à faire des trous, sans savoir où allaient ces trous, quand je les avais terminés. Je ne supportais pas qu'en plus des 10 heures par jour on m'oblige à revenir le samedi matin, parce que le samedi matin, j'étais fatigué. Je ne supportais pas que les petits chefs racistes dressent les différentes ethnies les unes contre les autres de façon à manipuler tout le monde, je ne supportais pas les chefs, ni les sous-chefs, ni les demi-chefs (merci Léo de m'avoir appris que le pouvoir, hein ? le pouvoir qu'on a sur les autres "c'est toujours le pouvoir de la merde"). Ce fameux jour où, manipulés par un petit merdeux facho et inculte, deux types noirs, d'ethnies différentes, se sont battus dans la cour de l'usine avec des barres de fer parce que l'un avait agressé l'autre verbalement, sans que j'y comprenne grand chose d'ailleurs, je n'ai pas aimé voir gicler le sang, je n'ai pas aimé les quelques visages pâles qui les entouraient et les incitaient à plus de violence (attention, ce n'était qu'une minorité des ouvriers de l'usine) et je n'ai pas aimé qu'un petit cheffaillon de merde, aidé par des colosses pour les stopper, les licencient sur le champ. Ce jour là, je suis parti, j'ai décidé que je ne serais jamais ouvrier. Je ne savais pas ce que je ferais de ma vie, j'étais trop jeune. Mais je savais un truc, que je ne serai jamais le chef de personne.

C'est à cette époque qu'à la radio est passée cette chanson coup de poing de et par Jacques Debronckart. C'est avec des chansons comme ça, je crois, qu'on finit par comprendre Marx et Rimbaud, la supériorité de l'être sur l'avoir et le plaisir du dérèglement des sens. La chanson en question s'appelle : J'suis heureux !

boomp3.com
A l'époque, pas mal de films, de livres et quelques chanteurs dénonçaient l'inutilité de cette accumulation de biens dans les classes moyennes, mais la richesse était mal répartie et certains avaient peu. Je me souviens, par exemple, que mes parents n'avaient jamais vraiment souffert de ne posséder presque rien, pas de voiture, pas de maison. Mon père avait des accidents de solex. Moi je m'en foutais, je voulais faire du rock ou du cinéma ou écrire, un de ces machins où tu ne trouves pas, sur le chemin de tes désirs, un chef pour te dire non, n'avance pas, recule, écrase.

J'ajoute une chanson de le même époque, peut-être moins violemment désespérée (voire moins excessive), Adélaïde. C'est une chanson qui eut son petit succès. J'associe Jacques Debronckart à Maurice Fanon (dont il avait été le pianiste), que je vous ai fait écouter (découvrir ?) il y a quelques jours ; enfin, pour ceux qui écoutent. C'est visuellement ringard à écouter, mais de la chanson populaire honnête. Et plus quand même. L'ugence de dire est  là.

boomp3.com

Sur le site dont l'adresse suit, on peut lire :

"Jacques était un homme rare, intègre, passionné et rebelle. Il était trop lucide pour être heureux mais il aimait vivre."

Le site, dit officiel, se trouve là : http://www.debronckart.fr/jacques%20debronckart.htm

Jacques nous a quitte en 1983.

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  • Le cinéma c'est comme la vie, mais c'est la vie 25 fois par seconde. On ne peut pas lutter contre le cinéma. Ça va trop vite, trop loin, même si le film est lent, il court, toi tu ne peux que rester assis et regarder.
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